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cela ; mais il est à craindre que ces lumières ne se dispersent sur beaucoup trop de points alors qu’il aurait fallu les concentrer sur un seul : le traité. C’est ce que M. le comte d’Haussonville a dit dans un article du Figaro, qui a été très commenté et approuvé. On a pensé généralement que, puisque la Chambre était résolue d’avance à voter le traité, et cela pour des motifs d’ordre général d’un caractère très élevé et très impérieux, elle aurait dû le faire plus vite. Sa discussion, qui a été très brillante, a paru un peu longue. On espérait que celle du Sénat serait plus courte et qu’elle porterait sur des points plus précis, c’est-à-dire sur le traité lui-même, à l’exclusion de toutes les considérations historiques, politiques et même philosophiques dont on l’avait enrichie au Palais-Bourbon. Malheureusement le Sénat, ou du moins sa Commission, a jugé sa tâche autrement.

Sans doute toutes les questions ont leurs racines dans le passé et on ne les comprend bien que si, après être remonté à leurs origines, on en a suivi jusqu’au bout l’évolution ; mais le travail de l’homme politique n’est pas celui de l’historien et il a semblé quelquefois que la Commission du Sénat ait incliné à faire de l’histoire avant l’heure. Cela prend du temps, sans qu’on soit assuré d’arriver à cette vérité stricte, incontestable, incontestée, au respect de laquelle M. de Selves a sacrifié son portefeuille. Une Commission parlementaire n’est pas organisée pour un travail de ce genre. On vient de voir, par l’exemple de M. Caillaux et de M. de Selves, que des ministres d’un même Cabinet, attachés à la même œuvre et solidaires entre eux, ne sont pas toujours d’accord : cela arrive à plus forte raison à des ministres qui ne le sont plus, mais dont plusieurs sont susceptibles de le redevenir, à des hommes politiques qui appartiennent à des groupes divers et qui, loin d’accepter les mêmes solidarités, tendent chacun à s’en dégager pour en rejeter le poids sur les autres. Comment faire de l’histoire tout à fait impartiale dans un pareil milieu et, si on ne peut pas en faire, pourquoi l’entreprendre ? Ceux qui ont conduit les affaires sont des témoins qu’il faut toujours interroger, mais non pas des historiens désintéressés qu’il faut toujours croire. On a donc vu, à la Commission du Sénat, des ministres qui se sont trouvés en cause sans que personne ait eu l’intention de les y mettre, par la seule force des situations, par la nature des questions qui étaient posées, et ces ministres ont eu parfois pour principale préoccupation de se disculper eux-mêmes, ce qu’ils ne pouvaient faire qu’au détriment des voisins. Il est convenu, en effet, que le traité franco-allemand est une détestable opération dont personne ne veut accepter