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de préparer ses bagages à destination de Dresde, où l’expédiait le Pape.

Lorsqu’il y arriva, un fait nouveau s’était produit : cinq paragraphes fermes et denses, rédigés par Bismarck, recopiés et signés par le prince Frédéric, avaient été le 10 juin expédiés au Pape. La Prusse, par ce document, signifiait à Léon XIII qu’en rapprochant la lettre impériale du 24 mars et la lettre papale du 17 avril, on devait constater, entre les deux pouvoirs, une opposition de principes : d’une part, en effet, contrairement aux espérances de Guillaume Ier, Sa Sainteté ne recommandait pas aux serviteurs de l’Église l’obéissance aux lois de Mai ; et d’autre part, aucun monarque prussien ne saurait accepter que la constitution et les lois de la Prusse fussent modifiées conformément aux dogmes de l’Eglise romaine, et qu’ainsi périclitassent l’indépendance de la monarchie et le libre jeu de la législation prussienne. Une lutte de principes était donc engagée ; elle était même, depuis mille ans, plus sensible en Allemagne qu’ailleurs. Je ne puis la clore, déclarait le prince Frédéric ; et Votre Sainteté, peut-être, ne peut pas la clore davantage. Il aurait préféré que des explications confidentielles rendissent inutiles ces remarques écrites ; il ne pouvait, cependant, les différer plus longtemps. Mais une fois ces remarques faites, le prince Frédéric se déclarait tout prêt à traiter les difficultés, avec un esprit de conciliation, avec des sentimens favorables à la paix, fruit de ses convictions chrétiennes ; et il exprimait l’espoir que là où une entente n’était pas possible sur le terrain des principes, « les dispositions conciliatrices des deux parties ouvriraient, pour la Prusse aussi, les voies pacifiques qui n’avaient jamais été fermées à d’autres Etats. »

Cette lettre marquait un grand pas : et l’invite qu’elle renfermait était plus importante, aux yeux de Rome, que le non possumus qu’elle affirmait. Le non possumus que soulignait une allusion médiocrement opportune à la querelle des Investitures, marquait l’impossibilité pour la Prusse de subordonner ses lois à la volonté de Rome ; sur ce point, le prince Frédéric n’était pas moins résolu que Bismarck. Mais l’invite qui succédait faisait entrevoir à Rome la possibilité proche ou lointaine d’obtenir certains remaniemens, certaines atténuations. C’était une nouveauté que cette invite : on avait fait les lois de Mai, cinq ans plus tôt, sans admettre Rome à parler ;