Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourrait faire sur les colères bismarckiennes ! A bon escient et bien délibérément, Bismarck projetait de se mettre en rage : l’accès de fureur, à certaines heures, était un moyen pour sa politique. Mais d’avoir à se mettre en rage, de se heurter à des obstacles qui valaient la peine qu’il s’y mît, était-ce acceptable, était-ce tolérable pour un Bismarck ? Assurément non ; on lui faisait ainsi perdre son temps, et ses forces, et sa dignité. et s’échauffant, peu à peu, contre l’obligation même où il était de jouer la colère, Bismarck, pour tout de bon, se fâchait, déblatérait, tempêtait : il avait concerté une manifestation factice ; et voilà qu’au galop, la colère venait, non pas celle qu’il avait calculée, mais une autre, plus naturelle, plus vraie, plus capricieuse aussi, une colère qui ne calculait pas. Il reprenait enfin son personnage en même temps que son sang-froid, et savait admirablement, — c’était la troisième phase de cette demi-comédie, — faire savoir, là où il était bon qu’on les sût, les récentes turbulences de sa vilaine humeur.

L’heure était propice, alors, pour ceux qu’il avait visés, d’aller le voir, et de causer avec lui, docilement, comme au lendemain d’une grande peur. Ainsi fit Bennigsen, en ce même mois de septembre. « Ce n’est pas nous qui commencerons le combat, » disait-il à Hohenlohe, et Hohenlohe, le 16 septembre, écrivait à Bismarck ce propos. Le lendemain, Bennigsen voyait le chancelier, qui lui donnait les assurances les plus amicales, et qui lui glissait même : « Je ne puis m’appuyer que sur les nationaux libéraux. » Caresses et brutalités étaient si savamment dosées, que Bennigsen finissait par capituler : ce fut Bennigsen et ce furent les nationaux-libéraux qui, revenant sur leur vote du mois de mai, assurèrent le succès de la loi d’exception contre la propagande socialiste. En les inculpant de toutes sortes d’horreurs, Bismarck avait obtenu d’eux, finalement, un acte d’obéissance.

Ils ne gardaient, pourtant, leur importance et leur prestige, que tant que leur obéissance était nécessaire : Bismarck se servait d’eux, mais ne s’engageait plus avec eux. Guillaume, en décembre, reprenait l’exercice actif du pouvoir. Il avait, durant sa longue convalescence, réfléchi mûrement ; il avait pris le temps de laisser parler en lui sa conscience et de se laisser tourmenter par cette voix grondeuse. Sa conscience lui avait redit que dans l’école, Dieu devait être à l’honneur ; et Guillaume,