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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/812

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caractère essentiel de vibrer entière au fond de chacune des parties que l’analyse y discerne ou plutôt y découpe ? Toutes les déterminations psychiques s’enveloppent et s’impliquent réciproquement. Et que l’âme soit ainsi présente intégralement dans chacun de ses états, dans chacun de ses actes, ses sentimens par exemple ou ses idées dans ses sensations, ses souvenirs dans ses percepts, ses volontés dans ses évidences, c’est le principe justificatif des métaphores, la source de toute poésie, la vérité que la philosophie moderne proclame chaque jour avec plus de force sous le nom d’immanence de la pensée, le fait qui explique notre responsabilité morale en face de nos affections et de nos croyances elles-mêmes ; et, finalement, c’est le meilleur de nous, puisque c’est ce qui fait que nous pouvons nous donner vraiment sans réserve et ce qui constitue l’unité réelle de notre personne.

Entrons même plus avant aux retraites cachées des âmes. Nous voici dans ces régions de crépuscule et de rêve où s’élabore notre moi, où jaillit le flot qui est nous, dans la secrète et tiède intimité des ténèbres fécondes où tressaille notre vie naissante. Les distinctions sont tombées. La parole ne vaut plus. On entend sourdre mystérieusement les sources de la conscience, comme un invisible frisson d’eau vive à travers l’ombre moussue des grottes. Je me dissous dans la joie du devenir. Je m’abandonne au délice d’être une réalité jaillissante. Je ne sais plus si je vois des parfums, si je respire des sons ou si je savoure des couleurs. Est-ce que j’aime ? Est-ce que je pense ? La question ne signifie plus rien pour moi. Je suis moi-même et tout entier chacune de mes attitudes, chacun de mes changemens. Non pas que ma vue soit trouble ou mon attention paresseuse. Mais j’ai repris contact avec la réalité pure, dont l’essentiel mouvement n’admet aucune forme de nombre. Qui fait ainsi l’effort nécessaire pour devenir, — ne fût-ce qu’un instant insaisissable, — vraiment « intérieur » et « profond, » celui-là découvre, sous l’apparence la plus simple, des sources infinies de richesse insoupçonnée ; le rythme de sa durée s’amplifie et s’affine ; ses actes deviennent plus consciens ; et, dans ce qui lui semblait d’abord brusque coupure ou battement instantané, il discerne des transitions complexes aux nuances insensiblement dégradées, des transitions musicales pleines de retours imprévus et de sinueuses démarches.