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ordres de sciences. Autrefois, c’est au géomètre qu’on empruntait l’idéal de l’évidence. De là une inclination à toujours chercher du côté le plus abstrait le plus certain savoir. De la biologie elle-même on était tenté de faire une sorte de mathématique encore, seulement atténuée et détendue. Or, si une telle méthode convient à l’étude de la matière inerte, parce qu’une certaine géométrie lui est immanente, si bien que notre connaissance ainsi acquise en est plus incomplète qu’inexacte, il n’en va plus de même pour, les choses de la vie. C’est là qu’à conduire la recherche scientifique toujours dans les mêmes voies et selon les mêmes formules, on rencontrerait incurablement symbolisme et relativité. Car la vie est progrès, tandis que la méthode géométrique n’est commensurable qu’aux choses. M. Bergson s’en est rendu compte ; et son rare mérite a été de dégager l’originalité spécifique de la biologie, en même temps qu’il l’érigeait en science typique et régulatrice.

Mais venons au cœur du problème. Quel fut le point de départ de Kant dans la théorie de la connaissance ? Cherchant à définir la structure de l’esprit d’après les marques de lui-même qu’il a dû laisser dans ses œuvres, procédant par une analyse réflexive qui remontait d’une donnée à ses conditions, il n’a pu que tenir l’intelligence pour une chose faite, immobile système de catégories et de principes. M. Bergson adopte une altitude inverse. L’intelligence est un produit de l’évolution : nous la voyons se constituer lentement par un progrès ininterrompu le long d’une ligne qui monte à travers la série des vertébrés jusqu’à l’homme. Un tel point de vue est seul conforme à la nature vraie des choses, aux conditions effectives de la réalité : plus on y songe, plus on aperçoit étroitement solidaires théorie de la connaissance et théorie de la vie. Or que constatons-nous de ce point de vue ? La vie, considérée dans la direction « connaissance, » évolue suivant deux lignes divergentes, qui tout d’abord se confondent, puis peu à peu se séparent et finalement aboutissent à deux formes d’organisation opposées : l’intelligence et l’instinct. De leur source commune » où s’entre-pénétraient plusieurs virtualités contraires, chacun de ces genres d’activité ne conserve ou plutôt n’accentue qu’une tendance ; et, il sera facile d’en marquer le double caractère. L’instinct est sympathie ; il n’a point conscience claire de soi ; il ne sait pas se réfléchir ; aussi n’est-il guère capable de varier