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décrit, avec une angoisse communicative, la stupeur qui l’assaillit, lorsqu’il en reçut la nouvelle. « Par une anomalie sans précédent dans l’histoire des guerres, dit-il, le gouvernement de Paris, étranger aux opérations de la province, avait pris sur lui de tracer la ligne de démarcation de nos forces. Or, il ne connaissait ni leurs emplacemens, ni même parfois leur existence. Il a dû s’en rapporter aux indications de l’état-major prussien, c’est-à-dire signer les yeux fermés… Mais ce qui est plus grave encore et ce qui confond l’imagination, c’est qu’il ait accepté de ne pas appliquer l’armistice à l’armée de l’Est et qu’il ait omis de nous le dire. Oui, cette armée était exclue de la convention et nous l’ignorions, alors qu’un jour de retard pouvait amener sa perte ! Nous l’immobilisions sur le vu de la dépêche et le gouvernement prussien, qui connaissait cette dépêche, profitait de l’erreur où elle nous faisait tomber ! Il ne nous avertissait pas que ses propres troupes allaient continuer de marcher, tandis que nous arrêtions les nôtres. Quel nom mérite un tel procédé ? » Le nom que mérite la falsification de la dépêche d’Ems par le même homme, et peut-être pire encore… Il faut relire la déposition des généraux de Beaufort d’Hautpoul et de Valdan qui accompagnèrent Jules Favre à Versailles auprès de Bismarck et de Moltke, pour saisir l’obscurité et le vague déplorables des négociations. Interrogé ainsi : « Que savez-vous de l’armée de l’Est ? » le général de Beaufort d’Hautpoul répondit : « Rien. — Et de Bourbaki ? — Rien. — Que vous a dit M. Jules Favre dans le trajet de Neuilly à Sèvres ? — Que Bourbaki était en pleine retraite. — Et que vous a-t-on dit à Versailles ? — On nous a dit : Nous n’avons pas de nouvelles. Il faut remettre la question à demain. — Ainsi, vous n’avez rien su ? — Non. — Vous rappelez-vous la clause qui disait que l’armistice ne commencerait que trois jours après qu’il aurait été signé ? — Je n’en ai plus aucun souvenir. — Cette clause paraît assez extraordinaire ? — On demandait le temps nécessaire pour prévenir tout le monde. — Cette clause a toujours paru incompréhensible ? — Je n’ai pas eu à la discuter. — Le 26, Bourbaki était représenté comme étant coupé et n’ayant plus de refuge qu’en Suisse. — Cela ne m’a pas été dit. — M. Jules Favre ne vous en a pas parlé ? — Du moins, je ne m’en souviens pas. — Ainsi, d’après votre sentiment, si l’on n’a rien réglé pour Bourbaki, c’est parce que