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écoutait. Les chiens l’observaient à distance, rampant, n’osant l’attaquer, et leurs vagissemens disaient l’épouvante : ils « pleuraient à la mort. » Lui se tenait immobile, comme figé sur le sol, pareil à quelque statue de bois, et ses bras rigides s’allongeaient vers les fenêtres d’où s’échappait le chant de la Sirène. On eût dit de l’un de ces personnages qu’aimait à-peindre le Fra Angelico, d’un religieux en état de suprême langueur, percevant, absorbant les harmonies des harpes séraphiques, des rebecs, des violes, de l’ineffable concert du paradis... L’ « insatiabilité » des mystiques !

Diva cependant continuait. Elle soupirait, à présent, les mots de séduction, les paroles de luxure qui affolent jusqu’aux saints et causent leur perdition :


La Sirène éperdue est toute volupté.


L’homme fit un pas, se dirigeant vers cet appel.

Mais bientôt une autre voix monta dans le silence ; Lazare donnait la réplique à Leucosia : Sant’Angiolo se mit à gronder, à mugir. Inculte et prétentieux, son baryton s’ingéniait à produire des « effets, » inventant des points d’orgue, prodiguant cadences ou fioritures...

L’homme, le bizarre fantôme, s’arrêta. Il allongea le poing, comme pour en menacer l’imbécile massacreur de notes : sa mimique exprimait une violente colère... Et sous les pâleurs déversées par la lune, détachant sa noire silhouette sur la blafarde pelouse, ce personnage à mouvemens d’automate semblait une âme en peine, spectre douloureux que n’avait pu retenir la tombe...

Le duo s’acheva : « Gloire au Christ libérateur ! » L’éclatant soprano de la cantatrice célébra en un brillant finale la défaite du péché, la fin de Satan, l’affranchissement du monde, la victoire de la Croix. On applaudit. Alors, un long et incompréhensible silence...

Immobile au bas du perron, l’homme paraissait attendre...

Et derechef le piano résonna ; il modula les premiers accords qui accompagnent l’Adieu de Schubert, puis sanglotante la voix de Campofiori commença...


Adieu, jusqu’à l’aurore
Du jour en qui j’ai foi,...