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sans guides, comme une compagnie de perdreaux que les premières battues ont faits orphelins.

Soyons sincères : la nouvelle couvée ne semblait pas souffrir de cet abandon. Cécile Bernier s’était rapprochée du célèbre pianiste, de qui la gloire hypnotisait son snobisme intellectuel… Le célèbre pianiste interprète Chopin presque à l’égal de Paderewsky : mais sa réputation d’homme à bonnes fortunes est bien établie, et il ne cherche pas à s’en affranchir. Plus à l’écart, Madeleine Demonville et Noël s’isolaient : ce sont deux enfans, d’accord ! mais tous deux ont la toquade de jouer « aux jeunes gens, » et Madeleine déclare sans ambages qu’elle flirte avec Noël, ce qui fait rire indulgemment et votre belle-sœur et Mme Demonville… Quant à Sylvie, elle était quelque temps demeurée silencieuse et heureuse auprès de Georges ; mais les provocations de regard que lançait à celui-ci Blanche Demonville finirent par l’énerver, et, la partie terminée, comme Blanche s’avançait vers Georges, Sylvie quitta la place, rejoignit le jeune Anglais et sa sœur. Sylvie plaît beaucoup à Sam Footner, c’est visible : mais le flirt de Sam Footner (peut-être ai-je tort) ne m’inspire aucune inquiétude. D’abord, parce que le cœur de Sylvie est pris, sérieusement pris ; et puis parce que j’ai confiance en Sam Footner, jeune Anglais équilibré, sans curiosité, sans malice, calme par tempérament, respectueux de la femme par hérédité et par éducation. De même, flirtant avec Guy Demonville, la sœur de Sam porte en ce divertissement certains usages nationaux de prudence et de défense féminines dont le jeune Latin étourdi aurait difficilement raison… Résumons : tout cela est fort innocent, fort gentil, et je ne vais pas me donner le ridicule de troubler la fête en criant casse-cou aux parens. J’estime pourtant que cette fermentation juvénile, sans danger quand les parens la suivent de l’œil, la gouvernent, la limitent, n’est pas inoffensive si elle agite au hasard, et librement, de jeunes cœurs et de jeunes tempéramens.

L’admirable, c’est que les parens n’en marquent point le moindre souci. On dirait que la petite révolution moderne qui a affranchi leurs filles, qui a mêlé la vie de leurs filles à celle des jeunes gens, les a surtout libérés eux-mêmes, eux, les parens, et qu’ils poussent un « ouf ! » de soulagement en se disant : « Grâce au ciel, nous ne sommes plus tenus de surveiller ces gamines ni ces drôles !… » Allons plus avant encore