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qu’il a eu la velléité d’abdiquer : peut-être poursuit-il la même idée sous une autre forme. La tranquillité et la sécurité dont jouit son frère le tentent sans doute. Se sentant méprisé et haï, il semble avoir voulu faire croire qu’il était notre prisonnier. S’il était allé à Rabat et surtout s’il était venu à Paris, un nouveau prétendant n’aurait pas manqué de se produire et de se mettre à la tête du mouvement vers l’indépendance qui, nous venons de nous en apercevoir, était préparé dans tout le pays. Aurions-nous rétabli Moulaï Hafid par la force ? L’aurions-nous pris comme pensionnaire en second à côté d’Abd-el-Aziz ? Aurions-nous attaché un nouveau Sultan à notre fortune ? Nous serions-nous attelés à la sienne ? En tout cas, nous aurions bien mal à propos accumulé autour de nous des difficultés nouvelles. Le projet de voyage de Moulaï Hafid est naturellement décommandé, mais c’est trop d’en avoir eu la sotte idée. Dans dix ans, quand nous serons vraiment maîtres du Maroc, nous pourrons montrer Moulaï Hafid à Paris sans inconvéniens, comme aussi sans avantages : mais commençons par être les protecteurs du pays autrement que sur le papier.

Pour cela, nous devons accomplir une double tâche, politique et administrative d’une part, militaire de l’autre, et les accomplir toutes les deux à la fois, car l’une est aussi nécessaire et urgente que l’autre. Qu’avons-nous fait cependant ? Il serait injuste de dire rien, mais il n’est que trop exact de dire peu de chose et d’ajouter qu’il y a eu beaucoup de temps perdu. Depuis le 4 novembre, date de notre traité avec l’Allemagne, aucune bonne raison ne peut excuser notre inertie, car nous pensons bien qu’on ne s’est pas cru obligé d’attendre, pour agir, notre traité avec le Sultan et encore moins sa ratification par le Parlement : ce serait sacrifier le fond à la forme dans une affaire où le fond seul importe. Nous parlerons un autre jour des réformes politiques et administratives restées en souffrance : l’émeute de Fez appelle aujourd’hui l’attention sur la nécessité de réformes militaires. Ici les critiques ne peuvent qu’être discrètes : nous sommes convaincu que nos officiers ont usé avec intelligence de toutes les ressources dont ils disposent, mais sont-elles suffisantes ? Dans le nombre des hommes qu’ils commandent, on a pris l’habitude de compter ceux des troupes chérifiennes : ce qui vient de se passer montre le peu de fond que nous devons faire sur leur fidélité. Elles se sont tournées contre nous à la première occasion, massacrant leurs officiers et sous-officiers et désertant à travers champs en emportant leurs armes. Les troupes chérifiennes ne sont pas sûres : pour qu’elles