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sur une discussion qui venait à peine de commencer. Je sais bien que M. Asquith voulait économiser des heures précieuses, éviter de vaines et puériles redites sur un sujet dont tout le monde est las. Mais on ne peut s’empêcher d’être légèrement étonné et presque scandalisé lorsqu’on voit la liberté de discussion traitée avec ce sans-gêne dans ce Parlement qui est l’ancêtre de tous les parlemens. Les choses en sont-elles venues à ce point que le dédain et le dégoût du parlementarisme aient gagné ceux-là mêmes qui, sans lui, ne seraient rien ?

D’autres causes ont contribué à amoindrir les débats. Pour appliquer l’argot théâtral à la comédie politique, c’est à une reprise que nous assistons. Or, telle pièce qui, dans la nouveauté, a été passionnément applaudie ou violemment sifflée, se joue, lors- qu’on la reprend au bout de vingt ans, devant des indifférens, à moins que ce ne soit devant des banquettes vides. La langue parait vieillie, les mots à effet ne portent pas et ne passent plus la rampe ; les artistes semblent inférieurs à ceux de la création. Cette dernière observation ne serait pas absolument juste en ce qui touche les orateurs mêlés à la discussion actuelle. Ce n’est pas le talent qui leur manque, mais la conviction. La froideur du public les gagne ; ils ne croient pas à leurs rôles, ils ne croient pas au succès de la pièce.

Deux des acteurs de 1893, M. Asquith et M. Balfour, sont encore l’un en face de l’autre, sur le banc ministériel et sur le banc des leaders de l’opposition. Mais combien ils sont changés ! Comme ils se ressemblent peu à eux-mêmes ! En 1893, ils avaient encore du chemin à faire pour arriver l’un du second rang, l’autre, du troisième ou du quatrième au premier. Leur ambition est aujourd’hui satisfaite et ils n’ont plus qu’à descendre. Vieillis et fatigués, les choses ne se présentent plus à eux éclairées de la même lumière.

M. Asquith conserve-t-il quelque illusion sur le bien que le Home Rule fera à l’Irlande ? M. Balfour conserve-t-il quelques craintes sur le tort que le Home Rule peut faire à l’Angleterre ? Je ne le pense pas. L’ancien chef du parti tory est simplement persuadé que la machine parlementaire qu’on fabrique pour l’Irlande ne marchera pas. Quant à M. Asquith, il s’inquiète de la résistance de l’Ulster et il a peur qu’on ne l’accuse, devant la génération prochaine, d’avoir abandonné les protestans irlandais à l’oppression tyrannique du clergé romain dont l’influence.