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ses plus ardens efforts pour sortir de la botte où il s’enlizait, qu’il tombait le plus bas et dans des excès indignes de son génie. Je ne sais pourquoi, j’ai pensé à lui en relisant, l’autre jour, les dernières lignes de la lettre à Fontanes, où Chateaubriand parle du Tibre, qui doit sa couleur presque toujours limoneuse aux pluies qui ravagent les montagnes d’où il descend. « Souvent, dit-il, par le temps le plus serein, en regardant couler ses flots décolorés, je me suis représenté une vie commencée au milieu des orages : le reste de son cours passe en vain sous un ciel pur ; le fleuve demeure teint des eaux de la tempête qui l’ont troublé dans sa course. » La vie de Byron s’écoula presque toute dans la tourmente, et je comprends l’impression profonde qu’il éprouva, dans le cimetière de la Chartreuse de Ferrare, en lisant une inscription mortuaire qui portait simplement : Implora pace. « Tout est là, s’écrie-t-il dans une de ses lettres d’Italie, tout est là, l’impuissance, l’humble espoir, l’humilité... J’espère que celui qui me survivra, quel qu’il soit, et qui me verra porté au quartier des étrangers dans le cimetière du Lido, veillera à ce que ces deux mots et pas d’autres soient gravés sur ma pierre. » Le désir de Byron ne fut point exaucé. Il ne repose pas sur les sables de la lagune, près de cette mer qui tant de fois avait roulé son corps. Et cette paix qu’il implorait, et que sans doute il a trouvée, ni son souvenir ni ses œuvres ne l’inspireront jamais. Ses vers continuent à souffler l’héroïsme. D’avoir seulement évoqué sa mémoire, un jour, à Venise, Mickiewicz sentit se réveiller les nobles ardeurs qu’avait un moment assoupies le calme de Weimar, conseilleur d’égoïsme. Nulle figure n’est plus excitatrice que celle de Byron. Mais comment nous apparaitrait-elle aujourd’hui sur ces rivages trop peuplés du Lido, à jamais enlaidis et germanisés ? C’est aux bords solitaires de la Brenta, par les soirs d’automne embrasés de pourpre et d’or, et surtout dans cette villa où errent encore les fantômes de quelques-unes de ses amours, que l’on peut le mieux rencontrer l’ombre douloureuse du poète de Don Juan.


IV. — STRÀ

De Mira à Strà, les palais se succèdent presque sans interruption, le long de la Brenta qui coule, peut-on dire, au pied de leurs murs ou sous les ombrages de leurs parcs. L’odeur à la