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II

Non sans quelque peine tout d’abord. Dans une série d’articles peu connus, et qu’on devrait bien recueillir[1], Edouard Rod a raconté lui-même, avec une verve attendrie et très savoureuse, l’histoire de ses débuts à Paris. Vrai roman d’aventures littéraires que celui-là, et qui évoque mainte figure disparue, tout un coin du Paris d’autrefois. C’est d’abord l’excellent, l’hospitalier, l’obligeant Nadar, qui fut la Providence du débutant, et lui ouvrit bien des portes de journaux, de revues, d’éditeurs. C’est ensuite tout le petit monde qui gravitait autour d’Emile Zola, Huysmans, Maupassant, Hennique, Paul Alexis ; c’est Alphonse Daudet, avec sa conversation étourdissante ; c’est Catulle Mendès, « beau comme un dieu du Nord, » c’est Emile Hennequin, c’est le pauvre Villiers de l’Isle-Adam. Et ce sont d’éphémères revues qui se fondent pour se fermer bien vite, — Magasin de lecture il lustrée, W vue réaliste, Revue littéraire et artistique. Revue contemporaine, et ce sont des collaborations qui s’amorcent à des journaux dont le bon vouloir se lasse, ou dont l’insuccès abrège la vie, la Liberté, l’Événement, le National, le Parlement ; et ce sont de vastes lectures pour découvrir la littérature des trente dernières années, des conversations, des discussions sans fin avec les jeunes confrères, dans les cafés littéraires, dans les brasseries de Montmartre, — au Café de Madrid, à la Grand’ Pinte, — ou sur le boulevard ; et ce sont aussi des écritures de toute sorte pour atteindre un public distrait et insaisissable. Cette vie-là, cette période d’initiation fiévreuse, de tâtonnemens et d’apprentissage devait durer une huitaine d’années : elle n’a pas été perdue pour le développement de l’écrivain.

Une brochure, A propos de « l’Assommoir, » deux recueils de nouvelles, les Allemands à Paris, l’Autopsie du docteur Z., cinq romans, Palmyre Veulard, Côte à Côte, la Chute de miss Topsy, la Femme d’Henri Vanneau, Tatiana Leïlof, voilà ce qui constitue l’œuvre portative d’Edouard Rod durant cette période. Je

  1. Cette série d’articles intitulés Mes débuts dans les lettres ont paru en 1889 dans une éphémère revue genevoise, l’Illustration suisse. Ils ont été réimprimés dans la Semaine littéraire des 23, 30 juillet, 13, 20 août, 3, 17 septembre, 13, 20 octobre, 12 novembre 1910, 21, 28 janvier, 18 février 1911.