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quand même, pour mon compte personnel, je ne vais pas aussi loin que vous dans la voie du néo-christianisme. » Et dans tout le livre s’exprimait un vif sentiment désolé des ruines accumulées par un demi-siècle de libre pensée. Les conclusions étaient curieuses. Dans le mouvement des idées morales contemporaines, Rod distinguait deux courans opposés : le courant négatif et le courant positif ; celui de l’individualisme intellectuel, et celui du traditionalisme social : le premier représenté par Ernest Renan, Schopenhauer, Zola ; le second, par Dumas fils, Brunetière, Tolstoï, E.-M. de Vogué ; entre les deux, ballottés de l’un à l’autre, cédant sur quelques points, résistant sur d’autres, quelques écrivains comme M. Bourget, M. Jules Lemaitre, Edmond Scherer. Et, constatant que le courant positif croissait tous les jours, et qu’il gagnait tout le terrain perdu par l’autre, l’auteur jugeait en ces termes d’une rare clairvoyance l’effort de Brunetière pour fonder sur la simple tradition « la réforme intellectuelle et morale : »


Cependant des esprits plus philosophiques encore et plus rigoureux ne peuvent s’empêcher d’observer que la tradition n’est point une autorité suffisante ; elle est mobile, elle se modifie de siècle en siècle, de pays en pays, elle prête à beaucoup d’interprétations différentes, elle n’est qu’un guide incertain, et son domaine demeure en tout cas très limité. Seule, la religion peut à la fois régler la pensée et l’action. C’est donc à elle qu’il faut s’adresser, en lui demandant, comme a fait Tolstoï, non pas des augures problématiques sur la vie future ou les problèmes de la métaphysique, mais des ordres formels sur la conduite de la vie présente. Pour être sûr d’interpréter exactement ces ordres, pour échapper au péril des gloses et des commentaires qui les dénaturent, il ne faut pas se contenter, si je puis parler ainsi, de la religion théorique ou du sentiment religieux ; il faut entrer dans la religion pratique, à laquelle l’Église a donné sa forme définitive, arrêtée, immuable, dans cette religion catholique qui est à la fois une politique et une morale. C’est là du moins le terme auquel doivent nécessairement aboutir les déductions de M. de Vogué ou de M. Desjardins, dont l’action, depuis deux ou trois ans, grandit sans cesse.


Et précisant encore ce dernier point dans un article qu’il n’a pas recueilli en volume sur le Devoir présent, de M. Paul Desjardins, il ajoutait un peu plus tard :


Allez ! ce n’est pas seulement une règle de conduite que réclament les pauvres âmes auxquelles vous vous adressez et que votre générosité voudrait sauver. Ce qu’il leur faut aussi, ce qu’il leur faut surtout, c’est une certitude et c’est une espérance. Vous leur refusez l’une et l’autre, sous prétexte qu’elles peuvent s’en passer pour agir ; mais elles ne s’en passent pas ;