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l’hégémonie inquiétante que l’armée victorieuse venait tout à coup de prendre sur les Balkans.

La paix de Bucarest (3 mars 1886) et la reconnaissance du prince Alexandre comme gouverneur général de la Roumélie orientale, le mois suivant, mettaient fin à la précaution illusoire prise par l’Europe de maintenir cette province autonome sous l’autorité nominale de la Turquie et de lui donner pour gouverneur un pacha d’opérette, le débonnaire Aléko : ainsi l’action retardatrice que la diplomatie avait prétendu exercer en 1878 n’aboutissait qu’à donner aux affaires balkaniques une vive accélération-Le patriotisme bulgare en était exalté. Le prince Alexandre, sortant, vis-à-vis de la Russie, de son attitude d’indépendance, passait à des actes d’hostilité. Usant à la fois du crédit nouveau que lui prêtaient les événemens et des relations qu’il avait nouées avec les cours d’Europe, il entra dans des combinaisons telles, que la Russie put se croire menacée d’une coalition. L’éventualité d’une nouvelle guerre de Crimée, dans laquelle l’Autriche aurait remplacé la France, fut envisagée à Pétersbourg, et l’on sait que c’est de cet examen critique, demeuré sans solution, que datèrent les prémices de la future alliance franco-russe.

Cependant l’armée bulgare avait si bien grandi en force qu’elle pouvait résoudre toute seule le problème devant lequel la Russie restait prise de court. Le 21 août 1886, le 2e régiment de Pernic marchait sur Sofia, gardée alors par un seul bataillon qui se laissait facilement désarmer ; la nuit suivante, le major Grouief pénétrait dans les appartemens du prince, s’emparait de sa personne, le traînait à peine vêtu au ministère de la Guerre ; là, entouré de conjurés en armes, Alexandre de Battenberg signait son abdication sur un coin de table, à deux heures du matin.

Une année d’interrègne sépara cette révolution de l’élection du prince Ferdinand de Saxe-Cobourg, faite à Tirnovo le 4 juillet 1887. Elle vit émigrer, vers la Russie, Grouief, Benderef, tous les acteurs du 21 août, tous leurs partisans, et s’installer au pouvoir, pour une dictature de dix années, l’homme qui incarnait en lui toute la force, toute l’ambition et tout l’orgueil de la Bulgarie. C’est soutenue par cette ferme poigne, c’est jalousement gardée par Stamboulof de toute influence moscovite, mais stimulée aussi par l’essor donné à toutes les formes de l’activité nationale