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que l’armée prit, peu à peu, un nouvel équilibre, et qu’après tant de commotions, tant de mélanges et tant de pertes, la réaction militaire bulgare put enfin se faire en vase clos.

Le petit nombre d’officiers qui avaient précédemment reçu à Pétersbourg la culture militaire supérieure, quelques autres, qui s’étaient révélés au cours de la dernière campagne, formaient une élite juste suffisante pour constituer l’administration centrale et pour assurer le commandement des hautes unités. Ces jeunes majors, faisant fonctions de colonel, de général, et de ministre, se mirent à l’œuvre avec une foi juvénile et une patriotique ardeur. L’école militaire de Sofia, où l’on avait jusqu’alors professé en russe, fut réorganisée à la bulgare ; elle combla par de fortes promotions d’officiers subalternes les lacunes créées dans le cadre par l’exode des instructeurs et le départ des « émigrans. » Quant à la formation académique, Pétersbourg restait fermé ; sur ce point, les ordres impératifs d’Alexandre III servaient bien le séparatisme outrancier de Stamboulof. Les rapports franco-russes étaient devenus si cordiaux qu’il ne pouvait être question d’ouvrir à des officiers bulgares les portes de notre Ecole supérieure de guerre. Berlin avait ses raisons pour rester réfractaire. Turin se montrait hospitalier. C’est donc par la seule influence italienne prise à petites doses, diluée dans la masse, et la colorant à peine, que la doctrine militaire européenne se répandait alors en Bulgarie. En revanche, on y lisait beaucoup, on y traduisait à force, non pour s’approprier tout indistinctement, mais pour démêler le bon du nuisible et prendre le bien bulgare partout où on le trouvait.

C’est occupée à ces travaux que cette armée autodidacte vit la chute de Stamboulof en 1894, sa mort en 1895, et, cette même année, les bases d’un rapprochement russo-bulgare marquées par la conversion du prince Boris à l’orthodoxie. En février 1896, le prince Ferdinand était reconnu par le Sultan, puis par les puissances ; en mai, il assistait au couronnement de Nicolas II, à Moscou.

Le zèle avec lequel il profita de ce voyage pour étudier la Russie, rassemblée tout entière alors autour du souverain, ses égards pour les généraux, héros de la dernière guerre, et particulièrement pour Dragomirof, dont il était l’hôte assidu, montrèrent jusqu’à quel point la Bulgarie était lasse de ses dix ans d’isolement.