Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est l’exemple frappant de la combinaison chimique. Or lorsque nous parlons de l’affinité de l’acide azotique pour le cuivre, voulons-nous dire que cet acide éprouve des sensations analogues à celles du chien en présence de l’os ? Ce serait absurde, et pourtant, si nous voulons aller au fond, nous ne trouverons pas de meilleure image. D’ailleurs, est-ce le cuivre qui a de l’affinité pour l’acide, ou réciproquement, ou chacun d’eux a-t-il pour l’autre une affinité égale ? On voit tout de suite pourquoi ces questions sont insolubles : c’est qu’elles n’ont pas sens. Pour le chimiste, comme pour tout autre ouvrier des sciences, c’est le « comment » et non le « pourquoi » des choses qui seul importe parce qu’il est seul accessible.

En voulant expliquer ces choses, les alchimistes s’étaient fourvoyés, et notre sagesse est, non de les ignorer, mais de ne pas nous laisser arrêter par elles et de les contourner pour aller de l’avant. Pour Boërhave, l’affinité du cuivre pour l’eau-forte était plutôt de l’amour que de la haine, magis ex amore quam odio. La combinaison de deux corps résulte à ses yeux d’une sorte d’aptitude sympathique à s’unir, nécessitant d’ailleurs une dissemblance de nature, et il comparait cette union à un mariage. Aux yeux de Barkhuisen, au contraire, les corps qui ont de l’affinité se ressemblent, sont cousins, ce qui ne veut pas dire qu’ils s’aiment. Ne dénigrons pas trop ceux qui énoncèrent jadis ces étranges systèmes ; nous n’avons qu’une supériorité sur eux, c’est le sentiment de notre impuissance à découvrir les qualités occultes des choses. Ils étaient plus ambitieux que nous, et c’est pourquoi ils n’aperçurent point qu’il y a quelque ridicule à célébrer, même poétiquement, les noces violentes de la potasse avec le vitriol.

À vrai dire, on s’est aperçu récemment que l’affinité chimique est une chose beaucoup plus capricieuse qu’on ne pensait, et dépend parfois de circonstances fort bizarres. Tel est le cas, des actions catalytiques qui tendent de plus en plus à jouer un rôle prépondérant en chimie.

Je m’explique : si on met en présence de l’acide sulfureux, — chacun connaît ce gaz irrespirable que dégagent en brûlant les allumettes soufrées, — et de l’oxygène, il ne se produit rien du tout, et chacun des deux gaz garde vis-à-vis de l’autre une hautaine et parfaite indifférence. Que si on y introduit un morceau de platine pulvérulent, de mousse de platine, instantanément les deux gaz se combinent entre eux avec une violente frénésie en formant de l’acide sulfurique. Et pourtant le platine, lui, n’a pas bougé ; il est resté intact, et il peut indéfiniment servir à faire combiner des quantités illimitées d’acide