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comment les voisins immédiats de l’Allemagne, soit à l’Est, soit à l’Ouest, n’en seraient-ils pas frappés et ne se mettraient-ils pas à même de rétablir entre elle et eux l’équilibre militaire qui va être si profondément modifié à leur désavantage ? Nous n’avons ici à parler que de nous. Les uns disent que la force militaire de l’Allemagne sera relativement à la nôtre dans la proportion de 3 contre 2, les autres de 4 contre 3 : il semble bien qu’elle la dépassera d’un bon tiers !

Quand ces projets allemands ont été connus en France, ils y ont produit une vive impression : on y a vu, on ne pouvait pas ne pas y voir, sinon une menace directe, au moins un péril certain. Les journaux allemands ont expliqué alors qu’on se méprenait sur les intentions de leur gouvernement et que ses armemens ne visaient nullement la France : ils étaient la conséquence des événemens qui venaient de se produire en Orient et qui, de ce côté, avaient déjà modifié profondément les conditions de l’échiquier européen. L’Autriche, l’allié de l’Allemagne et celui peut-être sur lequel elle compte le plus, se trouvait subitement placée en face d’obligations nouvelles, lourdes et inquiétantes, auxquelles ses armemens précipités avaient pourvu d’une manière insuffisante et par des moyens de fortune. Avant la guerre des Balkans, si un conflit avait éclaté entre la Russie et l’Autriche, cette dernière n’aurait pas eu à s’inquiéter beaucoup des royaumes balkaniques, dont tout le monde ignorait la force et qui l’ignoraient eux-mêmes ; elle aurait pu porter la plus grande partie de ses forces au Nord et à l’Est en se garantissant au Sud par un simple rideau militaire. Il n’en serait plus de même aujourd’hui. Dans l’hypothèse d’un conflit austro-russe, les Slaves des Balkans, victorieux de la Porte et entraînés à la guerre, prendraient fait et cause pour la Russie dont ils deviendraient des auxiliaires très précieux. L’Autriche, un peu affolée par la rapidité des événemens et par le danger qui en résultait pour elle, n’a pas toujours été adroite dans les précautions qu’elle a prises contre les Slaves du Sud ; elle a froissé bien des susceptibilités ; elle a fait brutalement bien des blessures ; elle a provoqué bien des rancunes. En cas de guerre avec la Russie, ce n’est pas seulement un ou deux corps d’armée qu’elle devrait placer sur la frontière serbe, mais une partie importante de ses forces qui, dès lors, lui manqueraient d’un autre côté. L’équilibre entre elle et la Russie serait renversé au grand détriment, non pas de l’Autriche seule, mais du germanisme lui-même dans, sa lutte inévitable contre le slavisme envahissant. L’Autriche, en effet, est l’avant-garde du germanisme ! en Orient, et ses échecs retomberaient sur lui. Qu’on s’en soit préoccupé