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et je ne sais pas un chant, que la lyre ou la harpe accompagne, plus digne que l’invocation du Doctor Marianus, de poser sur le front de Marie son diadème sonore. Ainsi par l’esprit ou le sentiment, et par la lettre, par la note, poésie et musique se ressemblent. Ainsi, croyant peut-être ne s’inspirer que de Goethe, Schumann a composé, d’après et selon Dante, « la dolce sinfonia di Paradiso. »

Gardons-nous bien de rompre, mais plutôt resserrons, entre un génie tout allemand par ailleurs et le plus grand des génies italiens, cette attache mystérieuse. Elle ne peut que nous rendre l’œuvre du musicien plus précieuse et plus sainte. Personnellement, c’est à Rome, il y a quelque trente ans, que le Faust de Schumann, par une longue étude, nous est devenu familier. C’est à Rome qu’il nous mena le premier, par un détour peut-être, au delà de Goethe, jusqu’à Dante. Cela ne s’oublie pas et, depuis, nous n’avons cessé de l’en remercier et de l’en bénir. Que de fois, dans certaine petite chambre de la via Gregoriana, la fenêtre ouverte sur le ciel visible, étincelant, nous enchantèrent les mélodies du Paradis sonore ! Encore aujourd’hui, quand il nous arrive de rouvrir, aux pages mystiques, certaine vieille partition, reliée à l’italienne, tranche rouge et dos de parchemin, quelque chose de la beauté, de la joie, et même de la foi romaine, se mêle pour nous à l’idéal allemand, et ce mélange fait de l’œuvre de Schumann une de nos plus anciennes et plus chères amours.


Nous voilà bien loin de Carmosine, trop loin pour avoir le temps d’y arriver aujourd’hui. Dans la comédie musicale représentée sur le Théâtre-Lyrique du square des Arts-et-Métiers, ni le métier, ni l’art n’est méprisable. Le livret est « d’après » le conte de Boccace et la comédie de Musset ; oui, d’après le sujet de l’un et de l’autre, mais non pas du tout d’après le style de l’autre. Quant à la musique, elle n’est pas laide, elle n’est pas lourde, elle n’est pas obscure. Si l’originalité, si la vraie et profonde poésie lui fait défaut, elle ne manque pas de facilité, ni parfois d’une certaine élégance, ni de sensibilité, voire de sensiblerie.


CAMILLE BELLAIGUE.