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s’est aperçu que les diverses archives publiques et privées de l’Allemagne en gardaient une foule d’autres, également remplies de détails curieux. A Munich, à Dresde, à Berlin, à Stuttgart, presque dans chacune des capitales allemandes, il a découvert toute sorte de vieux volumes poussiéreux, toute sorte de cahiers manuscrits, dont les uns lui offraient de précieux Mémoires autobiographiques de combattans bavarois, saxons, prussiens, etc., de 1812, tandis que d’autres, plus touchans encore, se trouvaient être des « journaux » intimes, rédigés chaque soir pendant la campagne.

M. Holzhausen a reproduit en fac-similé, dans son livre, deux pages de l’un de ces « journaux, » continué avec une obstination merveilleuse, au milieu des plus terribles épreuves, par un jeune lieutenant bavarois. A partir du 27 novembre, veille du passage de la Bérésina, l’écriture de l’officier allemand se brouille, devient de plus en plus difficile à déchiffrer : mais le lieutenant Munnich n’en persiste pas moins à tenir son journal. Il note que, le 28 novembre, il a « franchi le pont. » Le 29 novembre, il griffonne péniblement ces quelques mots : « Resté couché. Alarme et alerte. » Encore une ligne le 30 novembre, et une autre le 31, celle-là tout à fait illisible. Après quoi le journal s’arrête ; et quelques lignes écrites par Munnich plus tard, d’une main étrangement dissemblable de celle que nous ont fait voir les dernières pages, nous apprennent que « l’état de ses doigts, à demi gelés, » l’a empêché d’inscrire ses étapes suivantes.

C’est donc des relations de ces membres allemands de la Grande Armée qu’est fait le gros ouvrage de M. Holzhausen ; et tout d’abord je dois noter l’impression singulière qui se dégage d’un tel récit, où des événemens qui nous étaient familiers nous sont racontés à nouveau par un groupe nombreux de témoins inconnus, apportant à leur témoignage des sentimens et un tour de pensée tout différens de ceux des narrateurs français de la campagne de 1812. Que l’on imagine un Hollandais ou un Brésilien qui, sans savoir un mot de français, se serait trouvé mêlé de très près à notre tragédie révolutionnaire, et qui maintenant nous décrirait à sa façon les plus mémorables journées de la Terreur ! Car M. Holzhausen semble s’être fait un devoir, ou encore un point d’honneur, de dérouler sous nos yeux le tableau complet de la campagne de Russie sans presque jamais recourir à des documens d’origine française. Il a voulu que chacune des scènes successives du drame, grandes et petites, depuis l’incendie de Moscou jusqu’à la plus insignifiante des escarmouches quotidiennes de la retraite, nous fût exposée par l’un ou l’autre des Allemands