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rapprochent de nous. Son siècle ressemble beaucoup à celui-ci. Pour peu que nous entrions dans la familiarité de ses livres, nous reconnaissons en lui une âme fraternelle, qui a souffert, senti, pensé à peu près comme nous. Il est venu dans un monde finissant, à la veille du grand cataclysme qui allait emporter toute une civilisation : tournant tragique de l’histoire, période troublée et souvent atroce, qui dut être bien dure à vivre pour tous et qui dut paraître désespérée aux esprits les plus fermes. La paix de l’Église n’était pas encore établie, les consciences étaient divisées. On hésitait entre la croyance d’hier et la croyance de demain. Augustin fut un de ceux qui eurent le courage de choisir et qui, ayant choisi leur foi, la proclamèrent sans faiblir. Un culte millénaire allait s’éteindre, dépossédé par un culte jeune, à qui l’éternité est promise. Combien d’âmes délicates eurent à souffrir de cette scission, qui les détachait de leurs origines et qui les obligeait, pensaient-elles, à trahir leurs morts avec la religion des ancêtres ! Tous les froissemens que les sectaires d’aujourd’hui infligent aux âmes croyantes, beaucoup durent les éprouver alors. Les sceptiques souffraient de l’intransigeance des autres. Mais le pire, — comme aujourd’hui, — ce dut être d’assister au débordement de sottises qui, sous le couvert de la philosophie, de la religion ou de la thaumaturgie, prétendaient à la conquête des esprits et des volantes. Dans cette mêlée des doctrines et des hérésies les plus extravagantes, dans cette orgie d’intellectualisme creux, ils eurent la tête solide, ceux qui surent résister à l’ivresse publique. Au milieu de tous ces gens qui divaguent, Augustin nous apparaît admirable de bon sens.

Cet intellectuel, ce mystique n’était pas seulement un homme de prière et de méditation. La raison prudente de l’homme d’action et de l’administrateur corrigeait en lui les écarts d’une subtilité dialectique souvent excessive. Comme nous nous en flattons, il avait le sens des réalités, il avait la pratique de la vie et des passions. Comparée à l’expérience d’un Bossuet, combien celle d’un Augustin était plus étendue ! Avec cela, une sensibilité frémissante, qui est encore la nôtre, la sensibilité des époques d’extrême culture, où l’abus de la pensée a multiplié les causes de souffrance, en exaspérant le besoin de la volupté : « L’âme antique était rude et vaine. » Elle était bornée surtout. Celle d’Augustin est tendre et sérieuse, avide de certitudes et de jouissances qui ne trompent point. Elle est vaste et sonore : les