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moindres ébranlemens s’y propagent en vibrations profondes et y rendent le son de l’infini. Augustin, avant sa conversion, a les inquiétudes de nos romantiques, les mélancolies et les tristesses sans cause, les grands élans nostalgiques qui bouleversaient nos pères. Il est très près de nous.

Il a élargi nos âmes de Latins, en nous réconciliant avec le Barbare. Le Latin, comme le Grec, ne comprenait que lui-même. Le Barbare n’avait pas le droit de s’exprimer dans la langue de l’Empire. Le monde était divisé en deux parts qui voulaient s’ignorer l’une l’autre. Augustin a fait entrer dans notre conscience les régions innomées, les pays vagues de l’âme qui plongeaient autrefois dans les ténèbres de la barbarie. Par lui s’est consommée l’union du génie sémitique et du génie occidental. Il nous a servi de truchement avec la Bible. Les rauques paroles hébraïques se sont adoucies pour nous en passant par sa bouche élégante de rhéteur. Il nous a apprivoisés avec la parole de Dieu. C’est un Latin qui nous parle de l’Eternel.

D’autres, sans doute, l’avaient fait avant lui. Mais aucun n’y avait mis une pareille onction, un accent de tendresse aussi pénétrant. La violence suave de sa charité emporte l’adhésion des cœurs. Il ne respirait que charité. Après saint Jean, il fut l’Apôtre de l’amour.

Sa voix infatigable domine tout l’Occident. Le moyen âge l’entendra encore. Pendant des siècles, on recopie ses sermons et ses traités, on les répète dans les cathédrales, on les commente dans les sommes théologiques. On adopte jusqu’à sa théorie des arts libéraux. Tout ce que l’on conservera de l’héritage antique, on le tiendra d’Augustin. C’est le grand docteur. Avec lui se précise la définition doctrinale du catholicisme. On pourra dire, pour marquer les trois grandes étapes de la vérité en marche : le Christ, saint Paul, saint Augustin. Le dernier est plus près de notre faiblesse. Il est vraiment notre père spirituel. Il nous a enseigné la langue de la prière. Les formules de l’oraison augustinienne sont encore sur les lèvres pieuses.

Ce génie universel, qui, pendant quarante ans, fut le porte-voix de la catholicité, a été aussi l’homme d’un siècle et d’un pays. Augustin de Thagaste est le grand Africain.

Nous pouvons être fiers de lui et l’adopter comme une de nos gloires, nous qui, depuis près d’un siècle, continuons, dans sa patrie, un combat semblable à celui qu’il y a soutenu pour l’unité