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avait refusé, ce qui, de la part d’un protestant, était assurément preuve de délicatesse, et la correspondance de Mme de Staël avec son mari porte la trace de la répugnance constante opposée par M. Necker aux offres avantageuses que lui faisaient parvenir les acquéreurs de biens nationaux. Mais il ne s’en appliquait pas moins à réparer par d’heureux placemens en France où les immeubles étaient tous à vil prix, où l’argent était rare et cher, les atteintes portées à sa fortune, et, sur ces opérations, il consultait Mme de Staël qui, durant cette année 1798 en particulier, lui servait souvent d’intermédiaire avec des notaires ou des banquiers.

L’intermédiaire était bien choisi. Mme de Staël paraît avoir eu une très bonne tête d’affaires. En tout cas, elle avait beaucoup d’ordre et elle apportait beaucoup de soin à la gestion de sa fortune qu’elle considérait, avec raison, comme la sauvegarde de son indépendance. Il y a dans les archives de Coppet plusieurs liasses de lettres de ses divers banquiers, auxquelles elle répondait très exactement. Ce goût de l’ordre ne l’empêchait pas d’être très généreuse et très dévouée, pécuniairement parlant, à ses amis. Non seulement, pendant la Terreur, elle en fit évader à prix d’argent un grand nombre, mais toute sa vie elle obligea volontiers par des avances les personnes de son entourage qui s’adressaient à elle. Je possède la liste des prêts qu’elle consentit, et on serait peut-être étonné d’y voir inscrits certains grands noms. Mais, à l’époque dont je parle, elle n’était pas en possession de sa fortune. Elle avait vécu jusque-là des revenus de sa dot que lui servait son père et du traitement d’ambassadeur de M. de Staël, traitement de tout temps très irrégulièrement payé, sans que M. de Staël, qui n’était pas seulement généreux, mais plutôt prodigue, eût jamais accepté de restreindre ses dépenses. Aussi était-il tombé dans de graves embarras qui devaient amener M. Necker à exiger une séparation de biens. Ces questions d’intérêt remplissent presque exclusivement les lettres de M. Necker durant l’année 1798, et le détail en serait fastidieux.


III

L’année 1799 allait apporter dans l’état de la France de singuliers changemens dont le contre-coup se fait sentir dans