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la correspondance de M. Necker, quelle que soit la réserve prudente dont il enveloppe habituellement sa pensée[1].

Au cours de l’année précédente avait paru la seconde édition de l’ouvrage de Mme de Staël intitulé : De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Elle apprenait que Bonaparte s’était fait envoyer cet ouvrage en Égypte. Elle le mandait à son père qui lui répondait :

4 mai.

Ainsi donc te voilà en gloire aux bords du Nil. Alexandre le Macédonien faisait venir de tous les coins du monde des Philosophes et des Sophistes pour les faire parler. L’Alexandre corse, pour épargner du tems, n’entre en communication qu’avec l’esprit de Mme de Staël. Il entend les affaires.

Mais si Mme de Staël était justement flattée d’attirer ainsi l’attention du « héros, » elle n’en demeurait pas moins fidèle à cet idéal, qui a séduit tant de nobles esprits, d’une République modérée, tolérante, « conservatrice et libérale, » deux mots qui sont moins nouveaux qu’on ne pourrait le croire, et dont Bonaparte allait lui-même bientôt se servir. C’est durant les premiers mois de cette année 1799 ou les derniers de l’année précédente, — l’époque est assez difficile à fixer, — qu’elle a écrit ce curieux ouvrage qui n’avait jamais été publié et qui a été découvert il y a treize ans dans les cartons de la Bibliothèque Nationale[2]. Elle demandait à cette République de réparer les erreurs, les injustices, les cruautés du passé. De Coppet, où elle passait l’été, elle adressait à Garat cette belle lettre dont Vandal a publié une partie, mais que je ne puis

  1. Lorsque mon regretté confrère et ami Vandal préparait son bel ouvrage sur l’Avènement de Bonaparte, je l’avais invité à venir à Coppet prendre connaissance de cette correspondance. Il en avait apprécié l’intérêt et Il avait pris, sur les lettres de M. Necker et sur d’autres encore, de nombreuses notes dont il s’est servi avec beaucoup d’art, de tact et de mesure dans le premier et le second volume de sa remarquable histoire. Avec mon autorisation, il a communiqué ces notes à M. Paul Gautier qui s’en est servi également dans son ouvrage intitulé : Napoléon et Mme de Staël. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans cet article quelques passages des lettres de M. Necker déjà citées par Vandal ou par M. Gautier.
  2. Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République en France. Cet ouvrage, qui a été édité avec beaucoup de soin et précédé d’une très substantielle et équitable étude sur Mme de Staël par M. John Vienot, renferme beaucoup d’erreurs et d’illusions, mais aussi beaucoup d’idées généreuses et de vues profondes, ce qui est le propre de l’esprit et des ouvrages de Mme de Staël.