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C’est la mère seule qui crie sa tendresse, sa douleur. On comprend alors de quel abîme de souffrances jaillissent ces lignes de la lettre citée plus haut, et la concession jugée si étrange de la part d’une femme aimante, d’une épouse chrétienne. Voici, en effet, comment elle en arrive à envisager le lien que son mari forme avec Mme de Buffon qui fut la seule et durable passion de Philippe :

... « Je vous avoue que, dans le principe de votre liaison avec elle, j’ai été au désespoir : accoutumée à vous voir des fantaisies, j’ai été effraiée et profondément affectée lorsque je vous ai vu former un lien qui pouvoit m’ôter votre amitié, votre confiance. La conduite de Mme de Buffon, depuis que vous tenez à elle, m’a fait revenir sur les préjugés que l’on m’avoit donnés contre elle : je lui ai reconnu un attachement si vrai pour vous, un désintéressement si grand, et je sais qu’elle est si parfaite pour moi, que je ne puis pas ne pas m’intéresser à elle. Il est impossible que quelqu’un qui vous aime véritablement n’ait des droits sur moi : aussi, en a-t-elle de véritables, et vous pouvez encore sur ce point être sans gêne avec moi[1]. »

Mais, en revanche, elle ajoute : « Vous me dites que Mme de Sillery[2] fait votre bonheur, qu’elle m’aime. Je vous avoue que quand vous me dites ces choses-là, elles me tuent... »

Ainsi, pour Marie-Adélaïde, le sacrifice est consommé. C’est elle-même qui va, maintenant, dans ses lettres, nous retracer chaque pas de sa voie douloureuse.

Nous y verrons également se préciser le plan de Mme de Genlis. Elle s’est, dans ses Mémoires, étendue assez complaisamment sur les circonstances de son entrée au Palais-Royal, sur l’ascendant qu’elle y prit, ses succès de toute nature, la vanité qu’elle tira du titre singulier de Gouverneur des princes, pour que nous n’insistions pas sur cette période qui va de 1770 à 1789. Ce dont nous ne pouvons douter, c’est que, comprenant qu’elle n’avait pas à compter sur la constance de son amant, elle pouvait, en revanche, tout attendre d’une faiblesse de caractère savamment exploitée. Son parti est tôt pris, le mot de maîtresse aura désormais pour elle le sens qui convient à sa vanité : elle gouvernera à son gré le prince et sa famille, exercera son empire sur

  1. Correspondance de L. P. J. d’Orléans.
  2. M. de Genlis, ayant hérité de son père, avait pris le titre de marquis de Sillery, nom sous lequel Mme de Genlis fut, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, connue dans le monde.