Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cache dans le mystère. Alors, je n’étais pas homme à courber la tête pour y entrer !... »

Il se rebuta bien vite. Il tourna le dos à la Bible, comme il avait rejeté l’Hortensius, et il s’en fut chercher pâture ailleurs. Néanmoins, le branle était donné à son esprit. Il ne devait plus connaître le repos, jusqu’à ce qu’il eût trouvé la vérité. Cette vérité, il la demandait à toutes les sectes et à toutes les Églises. C’est ainsi qu’en désespoir de cause ; il se jeta dans le manichéisme.

On s’est étonné que cet esprit droit et positif se soit enfoncé dans une doctrine aussi tortueuse, aussi louche, contaminée de fables aussi grossièrement absurdes. Mais on oublie peut-être qu’il y avait de tout dans le manichéisme. Les chefs de la secte ne livraient pas d’un coup l’ensemble de la doctrine à leurs catéchumènes : l’initiation totale comportait plusieurs degrés. Or Augustin ne fut jamais que simple auditeur dans l’Église des manichéens. Ce qui attirait à eux les esprits d’élite, c’est qu’ils commençaient par se donner pour des rationalistes. Concilier la foi et la raison, ou plutôt mettre la foi d’accord avec la science et la philosophie, c’est la marotte des hérésiarques et des libres penseurs de tous les temps. Les manichéens se vantaient d’y réussir. Ils s’en allaient partout, criant : « Vérité, vérité ! » C’était bien l’affaire d’Augustin qui ne cherchait que cela. Il se précipita aux prêches de ces charlatans, impatient de recevoir enfin cette « vérité » si bruyamment annoncée. A les en croire, elle était contenue dans un ramas de gros livres, écrits par leur prophète sous l’inspiration du Saint-Esprit. Il y en avait toute une bibliothèque. Pour éblouir, la foule, ils en exhibaient quelques-uns, qui étaient fort importans, monumentaux comme des tables de la Loi, richement reliés en vélin et historiés d’éclatantes enluminures. Comment douter que la révélation intégrale ne fût renfermée dans de si beaux volumes ? On se sentait tout de suite plein de respect pour une religion qui pouvait produire en sa faveur le témoignage d’un tel monceau d’écritures.

Cependant les prêtres ne les ouvraient point. Afin de tromper l’impatience de leur auditoire, ils l’amusaient en critiquant les livres et les dogmes des catholiques. Cette critique préalable était le premier degré de leur enseignement. Ils relevaient, à foison, dans la Bible, des incohérences, des absurdités, des