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interpolations : selon eux, toute une partie des Écritures aurait été falsifiée par les Juifs. Mais ils triomphaient surtout à signaler les contradictions des Évangiles. Ils les sapaient à coups de syllogismes. On comprend que ces jeux de logicien aient immédiatement séduit le jeune Augustin. Avec son extraordinaire subtilité dialectique, il y devint bientôt très fort, plus fort même que ses maîtres. Il prenait la parole dans les assemblées, s’escrimait contre un texte, le réfutait péremptoirement et réduisait ses adversaires au silence. Il était applaudi, comblé de louanges. Une religion qui lui valait de tels succès ne pouvait être que la vraie.

Lorsque, devenu évêque, il essaie de s’expliquer comment il a pu être manichéen, il ne trouve que ces deux raisons : « La première, dit-il, c’est une amitié, qui a fait son chemin en moi sous je ne sais quelle apparence de bonté et qui me fut comme une corde jetée autour du cou… La seconde, c’étaient ces funestes victoires que je remportais presque toujours dans les discussions. »

Mais il y en a une autre, qu’il a exprimée ailleurs et qui est peut-être d’un plus grand poids : le relâchement des mœurs autorisé par le manichéisme. Cette doctrine professait, en effet, que nous ne sommes pas responsables du mal qui s’accomplit en nous. Nos vices et nos péchés sont l’œuvre du Principe mauvais, le Dieu des ténèbres ennemi du Dieu de la lumière. Or, au moment où Augustin se faisait inscrire comme « auditeur » chez les manichéens, il avait particulièrement besoin d’excuser sa conduite par une morale si indulgente et si commode : il se liait avec celle qui devait être la mère de son enfant.


IV. — LA VOLUPTÉ DES LARMES

Augustin approchait de sa vingtième année. Il avait terminé ses études de rhétorique dans le délai voulu. Selon les idées du temps, un jeune homme devait être sorti de l’école à l’âge de vingt ans. Sinon, il était considéré comme fruit sec et renvoyé d’office à sa famille.

On peut être surpris qu’un étudiant aussi bien doué qu’Augustin n’ait pas achevé plus tôt sa rhétorique. Mais, après son