Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/749

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Carthage et à ses plaisirs, c’était une extrémité bien pénible pour un jeune homme de vingt ans. De plus, il est à peu près certain que, dès cette époque, il avait déjà contracté cette liaison qui devait durer si longtemps. Laisser là une maîtresse qu’il aimait, — et cela dans toute la nouveauté d’une passion commençante, — on s’étonne qu’il ait pu s’y décider. Et pourtant, il partit, il passa près d’une année à Thagaste.

Une particularité de la jeunesse et même de la vie tout entière d’Augustin, c’est la facilité avec laquelle il se déprend et rompt ses habitudes, — les sentimentales autant que les intellectuelles. Chemin faisant, il usa bien des doctrines avant de s’arrêter dans la vérité catholique ; et même après, au cours d’une existence qui fut longue, dans ses écrits théologiques et polémiques, il s’est démenti et corrigé plus d’une fois. Ses Rétractations en sont la preuve. On dirait que l’accoutumance lui pèse, comme un empiétement sur sa liberté, que la figure des lieux où il habite lui devient odieuse, comme une menace de servitude. Il sent confusément que sa vraie patrie est ailleurs, et que, s’il doit se reposer quelque part, c’est dans la maison de son Père céleste : « Inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te !... Notre cœur est inquiet, mon Dieu, jusqu’à ce qu’il se repose en toi ! » Bien avant saint François d’Assise, il pratiqua la règle mystique : « En étranger et en pèlerin ! » Certes, en sa vingtième année, il est encore loin d’être un mystique. Mais il éprouve déjà cette inquiétude, qui va lui faire passer la mer, courir l’Italie, de Rome à Milan. C’est un impulsif. Il ne résiste pas aux mirages de son cœur ou de son imagination. Il est toujours prêt à partir. La route et ses hasards le tentent. Il est avide d’inconnu. Il se laisse emporter avec ivresse par le vent qui passe. Dieu l’appelle, il obéit, sans savoir où il va. Ce jeune homme agité, troublé de passions contraires, qui ne se sent chez lui nulle part, a déjà une âme d’apôtre.

Cette mobilité d’humeur fut probablement la vraie cause de son départ pour Thagaste. Mais d’autres raisons plus apparentes, plus accessibles à une conscience juvénile, le guidèrent aussi. Sans doute, il n’était pas fâché, lui si jeune, de reparaître dans sa petite ville avec le prestige et l’autorité d’un maître. Ses camarades d’autrefois allaient devenir ses élèves. Et puis les manichéens l’avaient fanatisé. Entraîné par le zèle bouillant du néophyte, grisé par ses triomphes dans les réunions publiques