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séjour à Madaure, il avait perdu près d’une année à Thagaste. Ensuite, la vie de Carthage avait tant de charmes pour lui que, sans doute, il ne se pressait pas trop de la quitter. Quoi qu’il en soit, le moment était venu de choisir décidément une carrière. Les désirs de ses parens, les conseils de ses maîtres, comme ses ambitions et ses aptitudes personnelles, le poussaient, nous le savons, vers le barreau. Et voilà que, soudain, ses projets d’avenir se modifient. Non seulement, il renonce à la profession d’avocat, mais au moment où tout semblait lui sourire, au seuil de la jeunesse, il abandonne Carthage, pour venir s’enterrer, en qualité de grammairien, dans son petit municipe natal.

Comme il a négligé de s’expliquer sur les motifs de cette brusque détermination, nous en sommes réduits à des conjectures. Il est probable que sa mère, prise dans des embarras domestiques, ne pouvait plus lui servir sa pension. Elle avait d’ailleurs d’autres enfans à établir, un fils et une fille. Augustin allait connaitre sinon la pauvreté, du moins la gêne : il lui fallait gagner sa vie au plus vite. Dans ces conditions, le parti le plus expéditif qui s’offrait, c’était de vendre à son tour la science qu’il avait achetée chez ses maîtres. Pour vivre, il ouvrirait boutique de paroles, comme il dit dédaigneusement. Mais, écolier de la veille, il ne pouvait songer décemment à professer dans une grande ville comme Carthage, à entrer en concurrence avec tant de maîtres en renom. S’il ne voulait pas végéter, force lui était donc de se rabattre sur un poste plus modeste. Or, son protecteur Romanianus l’appelait à Thagaste. Cet homme riche avait un fils déjà grand, qu’il convenait de mettre au plus tôt entre les mains d’un précepteur. Augustin, si souvent obligé par le père, était tout désigné pour remplir cet emploi auprès de l’adolescent. En outre, Romanianus, qui appréciait le talent d’Augustin, devait être jaloux de l’attirer et de le retenir à Thagaste. Soucieux des intérêts de son municipe, il désirait enfin y fixer un sujet aussi brillant. Il demanda donc à son protégé de revenir dans son pays, pour y ouvrir une école de grammairien. Il lui promettait des élèves et surtout l’appui de son crédit, qui était considérable. Monique, — c’est à supposer, — joignit ses instances à celles du grand chef de la municipalité de Thagaste. Augustin céda.

Eut-il beaucoup de peine à se résoudre à cet exil ? Renoncer