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rares, il est clair qu’Augustin ne fut point ce que nous entendons aujourd’hui par un « bourreau de lecture. » Nous ignorons si Carthage possédait beaucoup de bibliothèques et quelle était la valeur de ces bibliothèques. Il n’en est pas moins vrai que l’auteur de La Cité de Dieu est le dernier des écrivains latins qui aient eu une culture vraiment encyclopédique. Il forme le trait d’union entre les temps modernes et l’antiquité profane. Le moyen âge ne connaîtra guère la littérature classique que par les citations ou les allusions d’Augustin.

Ainsi, malgré les soins du métier et de la famille, ses préoccupations intellectuelles ne l’abandonnaient pas. La conquête de la vérité restait toujours son ambition dominante. Il espérait encore la trouver dans le manichéisme, mais il commençait à penser qu’elle se faisait bien attendre. Les chefs de la secte devaient se défier de lui. Ils redoutaient son esprit subtil et pénétrant, si prompt à trouver le point faible d’une thèse ou d’un raisonnement. C’est pourquoi ils différaient de l’initier à leurs doctrines secrètes. Augustin demeurait simple auditeur dans leur église. Pour tromper l’activité dévorante de son intelligence, ils la détournaient vers la controverse et la discussion critique des Écritures. Se prétendant chrétiens, ils en adoptaient une partie et rejetaient, comme interpolé ou falsifié, tout ce qui ne s’accordait pas avec leur théologie. Augustin, nous le savons, triomphait dans ce genre de disputes, et il tirait vanité d’y exceller.

Quand, las de cette critique négative, il réclamait de ses évangélistes une nourriture plus substantielle, on lui proposait quelque dogme exotérique, capable de séduire une imagination juvénile par sa couleur poétique ou philosophique. Le catéchumène n’en était point satisfait, mais il s’en contentait, faute de mieux. Très joliment, il compare ces ennemis de l’Écriture à des oiseleurs, qui remplissent avec de la terre et qui tarissent toutes les sources où les oiseaux vont boire, puis qui dressent leurs appeaux au bord d’une mare, la seule qu’ils n’aient pas comblée. Les oiseaux s’y précipitent, non que l’eau en soit meilleure, mais parce qu’il n’y en a plus d’autre et qu’ils ne savent où aller boire. Ainsi Augustin, ne sachant où étancher sa soif de vérité, l’apaisait, comme il pouvait, dans le panthéisme confus des manichéens.

Ce qu’il y a d’admirable, c’est que, si peu convaincu lui-même,