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condamnant la vanité de ses ambitions juvéniles, dut faire de bien ironiques réflexions sur leur modestie. Comme il s’était méconnu ! Un Augustin avait rêvé d’égaler un jour cet obscur pédagogue, dont personne, sans lui, n’aurait plus parlé ! Les instinctifs de sa sorte se trompent ainsi perpétuellement sur le but et les mayens à employer. Mais ils ne s’abusent qu’en apparence. Par des voies mystérieuses, une volonté plus forte que la leur les conduit là où ils doivent aller.

Ce premier livre d’Augustin s’est perdu, sans que nous puissions dire s’il y a lieu de le regretter. Lui-même nous le rappelle sur un ton fort détaché et dans des termes assez vagues : il apparaît néanmoins que cette esthétique était à base de métaphysique manichéenne. Mais ce qu’il y a de significatif pour nous dans cet essai de jeunesse, c’est que, la première fois qu’Augustin a fait œuvre d’écrivain, ç’a été pour essayer de définir et pour exalter la Beauté. Il ne connaissait pas encore, au moins directement et dans le texte, les dialogues de Platon, et déjà il est platonicien de tendance. Il l’était naturellement. Son christianisme sera une religion toute de lumière et de beauté. Pour lui, la suprême Beauté est identique au suprême Amour : « Qu’aimons-nous, demandait-il à ses amis, qui ne soit la Beauté ? Num amamus aliquid, nisi pulchrum ? » Encore, à la fin de sa vie, dans sa Cité de Dieu, lorsqu’il s’appliquera à nous rendre intelligible le dogme de la résurrection de la chair, il pensera que notre corps doit ressusciter dépouillé de ses tares terrestres, dans toute la splendeur du type humain parfait. Rien n’en sera perdu. Il conservera tous ses membres et tous ses organes, parce qu’ils sont beaux. On reconnaît à ce trait non seulement le platonicien, mais le voyageur et le dilettante qui avait contemplé quelques-uns des plus purs modèles de la statuaire antique.

Un succès médiocre accueillit ce livre de début. Augustin ne nous dit même pas si le célèbre Hiérius lui en fit des complimens, et il a l’air de nous donner à entendre qu’il n’eut point d’autre admirateur que lui-même. De nouvelles désillusions, des déboires plus sérieux modifièrent peu à peu ses dispositions d’âme et ses projets d’avenir. Après des années d’efforts, il constatait qu’il n’était guère plus avancé qu’au début. Il n’y avait pas à se leurrer de vains prétextes : il devenait évident pour tous que le rhéteur Augustin ne réussissait pas. A quoi