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« Je veux mettre un petit mot à mon Léodgard pour lui faire voir de l’écriture de l’aîné des proscrits, je ne sais pas quand je te reverrai, cela est triste, adieu, je t’embrasse de toute mon âme, mon pauvre petit Léodgard. »


Cet accablement ne dure pas ; il n’est pas digne, pense le ci-devant Duc de Chartres, d’un citoyen qui doit se modeler sur les héros antiques que Mme de Genlis n’a cessé d’offrir en exemple à ses élèves. Il saura se sacrifier sans murmurer aux décisions de ceux qui veillent au salut de la patrie. Il l’affirme en timbrant ses lettres d’une pierre dure représentant une tête de Brutus entre deux poignards, et en manifestant ainsi sa tendresse à son frère :


Quévrechin, ce 29.

« Le républicain Philippe Egalité embrasse son frère le républicain Léodgard et le prie de faire passer cette lettre à son adresse. Il n’y a rien de nouveau à l’armée du Nord et je t’aime de toute mon âme. César[1] te dit mille choses. »


A Léodgard Égalité, au Jardin de la Révolution, à Paris.


Mons, ce 10 novembre 1792, l’an Ier de la République.

« Je te prie, mon cher frère, de faire passer cette lettre, ou plutôt ce mot à Mme de Sillery ; je me réjouis avec toi du gain de la mémorable bataille de Jemappes, j’ai quelques bêtises prises aux Autrichiens, j’envoye tout cela chés moi, j’ai déjà distribué quelque chose ici, je t’en donnerai aussi ta part et à mon père. Il n’y a pas beaucoup de choses, mais enfin cela vient des Autrichiens, cela fait plaisir. J’ai défendu à Bernières de laisser toucher à rien avant mon arrivée.

« Mille choses à tous ces Messieurs. Je t’embrasse.

« P. EGALITE. »

L’année sombre vient de se lever. En dépit de tant de tristes avertissemens, les princes la saluent gaiement. Ils sont trop jeunes pour que leur âme ne reste pas obstinément ouverte à l’espérance.

Le petit Léodgard, « en sa maison de la rue Saint-Honoré, » reçoit de ses frères des lettres dont le ton de bonne humeur fait

  1. César du Crest, neveu de Mme de Genlis.