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« Tu scais maintenant que le Roi a défendu expressément à Luckner de recevoir mon père à son armée, à moins qu’il ne lui donne un ordre signé de sa main, ce qui annonce vraisemblablement qu’il ne veut pas le donner.

« J’ai été ce matin à la sinagogue ; j’avois mis mon chapeau à la main, et aussitôt un juif m’a dit de le mettre sur ma tête : c’est la loi. Ils font des beuglemens en se dandinant et chacun à leur (sic) manière, de sorte qu’on croit être au milieu d’une basse cour. Ils sont extrêmement sales, ils ont de longues barbes, des manteaux noirs tout déguenillés et des petits chapeaux plats recouverts d’une serge noire...

« A. PHILIPPE. »

Le décret qui ferme la France à tous les Bourbons a paru. Où le destin jettera-t-il chacun des membres de la famille dispersée ? Henriette de Sercey, compagne d’exil de Mademoiselle, donne à Beaujolais l’exemple d’une soumission vraiment un peu trop républicaine ; mais quelle douloureuse anxiété recèle le post-scriptum ajouté par l’ainé des fils de Philippe Égalité :


A Alphonse Léodgard, Maison de l’Égalité.


Tournay, ce mercredi au soir 19 (oct. 92).

« Eh bien, mon aimable ami, il est donc porté, ce terrible décret. Vous voilà donc tous proscrits... mais de bons républicains comme nous doivent se soumettre sans murmurer. Où allés-vous ? Qu’allés-vous faire ? Quand nous reverrons-nous ? Où ? Mon Dieu, que c’est affligeant ! Votre frère aîné est avec nous, il me charge de vous dire qu’il lui est impossible de vous écrire ce soir ; il est dans ce moment à écrire sa treizième lettre et il est trois heures du matin. Je n’ai pas voulu laisser partir Gardanne sans vous écrire un mot. Vous imaginés bien que nous sommes cruellement tristes. Il n’y a que votre frère qui ne le soit pas. Bonsoir mon cher enfant, peut-être ne nous verrons nous de longtems ! Mais malgré l’éloignement nous porterons notre Léodgard dans notre cœur. Votre amie, votre pauvre petite sœur, votre frère, Paméla et moi vous embrassons aussi tendrement que nous vous aimons. Dans quelque endroit que nous soyons, promettés-moi de m’écrire quelquefois. Encore une fois adieu...