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qu’on n’imagine pas de musique assez mauvaise pour y résister ou seulement pour y contredire.

En somme, de la facilité, de l’intelligibilité, sans oublier de menus agrémens, voilà qui n’est point à mépriser. Et ce n’est pas rien non plus qu’une œuvre tempérée et raisonnable, une œuvre conservatrice et de tout repos. Que si pourtant l’on veut autre chose, et que, d’ailleurs, on réprouve les recherches laborieuses et vaines, les obscurités, les excès en tout genre, d’une école opposée et d’un art contraire, qu’est-ce donc, à la fin, que l’on veut ? Ainsi nous interrogeait, le soir de la « première, » un partisan de Carmosine. A quoi la critique répondra peut-être qu’elle n’est pas faite pour définir à l’avance le chef-d’œuvre toujours attendu, pour en donner la recette, en imposer la formule et dire : « Il sera ceci. » Puisse-t-elle seulement, s’il vient à se produire un jour, savoir le comprendre, le reconnaître et déclarer : « Le voilà ! »

La représentation visible de Carmosine est quelquefois un peu voyante. L’exécution musicale en est honorable. Mme Lamber-Vuillaume (Carmosine elle-même) use avec une certaine adresse d’une voix un peu bien aigrelette et mince. Dame Paque au contraire (Mme Fierens) a de la rondeur. M. Gilly (Perillo) parut un ténor agréable. La voix et le chant de M. Maguenat (Minuccio) rappelèrent, plus agréablement encore, celle et celui du regretté Bouvet. M. Fugère se fait toujours davantage, en vieillissant, un talent, un style mixte, ou plutôt double. On doute par momens s’il chante ou s’il parle. La vérité, c’est qu’il chante et qu’il parle à la fois, et ce mélange est délicieux. Enfin Pierre d’Aragon, roi de Sicile réunit en toute sa personne tous les élémens les mieux faits pour rendre la passion de la pauvre Carmosine invraisemblable jusqu’à l’incrédibilité.


Parmi les musiciens, ou les « maîtres, » encore jeunes, le compositeur d’Astarté, de Théodora, de la Reine Fiammette, du Chemineau et du Carillonneur, M. Xavier Leroux, est l’un de ceux qui savent le mieux faire, comme on dit, « les gros ouvrages. » L’esprit de M. Xavier Leroux n’est pas tout à fait l’esprit de finesse. Les caractères de son art sont la force, la violence même, et la « poigne, » plutôt que le doigté, la discrétion et la distinction. On pouvait encore se demander, avant le Carillonneur, s’il y avait rien de commun entre Bruges, son aspect ou son visage, son silence, son mystère, sa poésie, son âme enfin, et la musique de M. Xavier Leroux. Après le Carillonneur, c’est une question qu’on ne se posera plus.