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L’argument du drame est le suivant. Un brave homme d’antiquaire brugeois, Van Huile, avait deux filles, très différentes d’humeur. L’une, Godelieve, blonde, suave et mystique, étrangère à la vie présente, s’absorbait dans le souvenir et le regret des temps passés. L’autre voulait ce qu’on appelle aujourd’hui « vivre sa vie, » la vivre complète, corps et âme, et c’était la brune, ardente, ibsénienne Barbara. De plus, le roman de Georges Rodenbach ayant des velléités symboliques, il s’ensuit que, des deux demoiselles Van Hulle, la première représente la Bruges d’autrefois, « Bruges la Morte, » et que Barbara figure ou, comme on dit, comme on peut le dire de cette gaillarde, « incarne » la Bruges de l’avenir. Avec un personnage secondaire de la pièce, un nommé Farazyn, apôtre également de la cité future, Barbara pense et parlerait volontiers ainsi :


Nous qui voulons respirer, le front haut,
Dans le vent du progrès qui nous évente,
Nous qui vivons enfin, ce qu’il nous faut.
C’est Bruges la vivante.


Or la douce Godelieve aimait en secret le jeune musicien Joris Borluut et de lui se croyait aimée. Mais Joris en tenait pour l’autre, et furieusement, comme en témoignent les forcenés et mystiques propos que, la voyant en larmes, il lui tenait :


Oh ! ces pleurs venant arroser
Le bouton froncé de tes lèvres !


Ou bien encore :


O bouche en calice et cœur en ciboire,
Vin de démence à boire.
Rouge hostie à manger !


Sensible à ces appellations, Barbara Van Hulle épousa Joris Borluut. Puis, la place de carillonneur étant devenue vacante, on la mit au concours, et Joris, en une seule volée, l’emporta. Voilà pour les deux premiers tableaux.

Troisième, quatrième et cinquième tableaux. Le vieux Van Hulle est mort. Pour obéir à son dernier vœu, les Borluut ont recueilli Godelieve. Et la suite se devine, bien que le libretttiste, sinon le romancier, ait pris trop peu le soin de la faire prévoir. Nous apprenons tout d’un coup, par les confidences de Joris à l’un de ses camarades, qu’il a trouvé dans sa femme un démon, ou plutôt une malade, une demi-folle. Assez lucide en tout cas pour découvrir que dans le cœur de son