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popularité d’ordre exceptionnel, un peu équivalente à celle dont jouissent uniquement, chez nous, quelques privilégiés du monde des théâtres. De Turin à Naples et d’Ancône à Gênes, pas un Italien qui ne ressente, à l’égard de M. d’Annunzio, un mélange particulier d’admiration orgueilleuse et d’indulgente affection familière, avec la certitude absolue que jamais cet écrivain-là ne se résignera à rien faire « comme tout le monde ; » et je suis sûr qu’une fois de plus, en apercevant l’étrange réunion des trois imprimatur au terme d’une biographie de Cola Rienzi, ces innombrables amis du poète auront eu la joyeuse impression de retrouver « leur Gabriel, » — dont on leur avait annoncé naguère qu’il se préparait désormais à les abandonner, pour transporter au delà des Alpes sa double virtuosité de créateur de beaux rythmes chantans et d’inventeur d’amusantes ou audacieuses « plaisanteries » selon le plus pur goût italien de la Renaissance.


Pareillement, c’est encore la fantaisie coutumière de M. d’Annunzio qui se révèle à nous dans la longue préface de son nouveau livre. Car il faut savoir que sa Vie de Rienzi, telle qu’il la reproduit maintenant en volume après l’avoir publiée il y a sept ou huit ans dans une revue milanaise, mérite pleinement les qualifications de libretto ou d’operetta qui lui sont données dans les deux imprimatur du chanoine Pieruzzi et du « consulteur » Fra Telesforo Cerusichi : c’est effectivement un très « petit livre, » et dont la réimpression ne pouvait guère suffire à remplir un volume. Si bien que l’auteur ne s’est pas fait scrupule d’y adjoindre une préface de longueur presque égale à celle du texte propre de sa biographie, sous la forme d’une lettre adressée à son « amicissime » M. Annibale Tenneroni ; mais le plus curieux est que, dans cette lettre-préface, M. d’Annunzio a entièrement négligé de nous renseigner sur les sources et la portée historique de sa Vie de Rienzi, se bornant à nous raconter l’aimable existence qu’il menait lui-même dans sa somptueuse et calme villa des environs de Fiesole, pendant qu’il travaillait à la rédaction de son « petit livre. » Tout au plus ouvre-t-il sa préface par quelques pages charmantes sur l’intérêt et l’agrément littéraires des biographies. Avec le talent merveilleux qu’il a toujours déployé à ce que je serais tenté d’appeler la « transfiguration » poétique des « lieux communs » les plus rebattus, il nous rappelle combien la connaissance de tels menus détails de la vie ou de la personne d’un grand homme nous aide à en comprendre la véritable grandeur ; et voici par exemple, à cette occasion, la description qu’il nous fait d’un des plus glorieux portraits de notre Louvre :