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les ont retenus, et le bruit court que le roi Nicolas aurait entamé des négociations, encore confidentielles, en vue d’obtenir des compensations s’il renonçait finalement à Scutari. Il est très désirable que les choses s’arrangent effectivement ainsi. L’Europe a laissé beaucoup faire, elle a laissé beaucoup passer jusqu’à présent et nous ne le lui reprochons pas; il fallait permettre aux opérations de la guerre de se dérouler librement jusqu’au bout : mais ce résultat est aujourd’hui atteint, et le moment est venu de mettre fin aux incertitudes de la situation. Toute nouvelle effusion de sang serait inutile et par conséquent coupable, et on ne saurait trop approuver l’Europe de tenir un langage plus résolu qu’elle ne l’a fait jusqu’ici. C’est rendre service aux États balkaniques eux-mêmes que de les aider, par une pression amicale mais ferme, à marcher enfin vers le dénouement.

La question aujourd’hui n’est plus entre la Porte et les États balkaniques, mais entre ceux-ci et l’Europe. Le gouvernement ottoman a senti, après la chute d’Andrinoplc, qu’il avait fait tout ce que l’honneur exigeait et ses dernières espérances, ses dernières illusions se sont dissipées : il a accepté purement et simplement la médiation des Puissances. Il n’en a pas été de même des États balkaniques : ils veulent bien de la médiation de l’Europe, mais à certaines conditions, qu’ils discutent avec une grande âpreté. Le dernier effort que leur a imposé l’entêtement ottoman à ne pas céder Andrinople leur a ouvert le droit d’émettre des exigences plus grandes : bien loin de les repousser, les Puissances ont consenti tout de suite à accorder aux alliés une rectification de frontière importante. Sans doute la nouvelle frontière ne leur donne pas accès sur la mer de Marmara, comme ils l’auraient voulu; Rodosto continuera d’appartenir à la Porte et il y aurait eu, en vérité, une ironie un peu forte à lui laisser la garde des Détroits et à introduire les Bulgares dans la place même dont ces Détroits défendent l’accès ; mais la frontière, au lieu de remonter au Nord sous la forme d’un arc de cercle, ira en ligne droite, comme la corde de cet arc, de Midia à Enos. Les alliés ont demandé que cette frontière ne fût pas une ligne mathématique et qu’elle tint compte de la configuration géographique du terrain : cela va de soi et avait à peine besoin d’être dit. Ils ont insisté en outre pour qu’on reconnût à leur profit le droit à une indemnité : non contens d’avoir dépouillé la Porte de la presque totalité de ses territoires européens, ils veulent lui faire payer les frais de l’opération. On leur a répondu que la Conférence financière, réunie à Paris, réglerait la question et que leurs représentans y seraient admis. Ils ont demandé aussi que la Porte leur cédât les îles de la