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Puis le temps était libre pour un très large enseignement des humanités.

Unir exactement, et sans péril pour l’une ni pour l’autre, la culture païenne et la foi chrétienne : les Doctrinaires ont excellé à cette réussite, qui a semblé paradoxale après que fut défait ce bel accord. Les intelligences dans lesquelles se combinait élégamment la double pensée antique et moderne possédaient la somme du rêve européen et jouissaient du chef-d’œuvre total qu’avaient élaboré pour elles Athènes, Rome deux fois et Paris. Elles omettaient seulement ce que l’âme occidentale n’avait pas accueilli. Elles s’épanouissaient au gré des siècles fleurissans.

Les premières impressions du petit collégien Joubert nous manquent ; mais nous savons le souvenir que lui laissa l’enseignement de l’Esquille. En 1809, quand il collaborait avec Fontanes à l’organisation de l’université impériale, qu’on tirait du néant révolutionnaire, il écrivait au Grand Maître, son ami : « Regrettons nos anciens collèges ! » Et, se rappelant l’Esquille rose de Toulouse, il traçait, de nos anciens collèges, un tableau tout paré de sa tendresse reconnaissante. « Nos collèges étoient de petites universités où l’enfance étoit dressée à distinguer et à goûter tout ce qui doit charmer l’imagination et le cœur. Des hommes qui faisoient leurs délices de l’étude de ces beautés les enseignoient : jeunes eux-mêmes, ils portoient dans l’exercice de leurs fonctions un zèle épuré par le désintéressement le plus parfait et égayé par de riantes perspectives. Ils voyoient dans leur avenir, dès que leur âge seroit mûr, une retraite studieuse, les dignités du sacerdoce ou les honneurs et les faveurs de toute espèce qu’obtenoient alors leurs talens. Le temps de leur professorat étoit pour eux un enchantement continu. De ces dispositions des jeunes régens naissoit en eux une aménité de goûts et de manières qui se communiquoit à leurs élèves... Dans nos collèges, on enseignoit tout. L’éducation littéraire y étoit complette... » L’éducation littéraire, Joubert la définit comme suit : elle donnait « aux esprits et aux âmes une teinture de ce que les poètes, les orateurs, les historiens et les moralistes de l’antiquité ont eu de plus exquis, teinture qui certes embellissoit les mœurs, les manières et la vie entière... » Il insiste : « C’est par l’effet d’une telle éducation, c’est par cette succession non interrompue de générations, non pas scavantes, mais amies du scavoir et habituées aux plaisirs de l’esprit, que