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métier, sans bruit, et qui accomplissaient une existence pieuse et obscure.

Parmi les autres, citons l’un des singuliers gaillards de l’époque, un Philippe-François-Nazaire Fabre, fils d’un marchand drapier de Carcassonne. Il était de quatre ans plus âgé que Joubert. Bien doué, pourvu de quelque poésie, mais aventureux, porté à la galanterie, porté aux femmes et, de naissance, un fol. Très laid, malpropre ; avec cela, de l’agrément ; une adresse à prendre la mode ; et capable d’une sorte de piété sincère, mais incapable de résister à des élans qui le conduisaient à leur gré. Il fut élève, ensuite professeur. Il n’avait pas de zèle, mais un charme de prime-saut. En 1771, il écrivit un sonnet « à l’honneur de la sainte Vierge, » — un sonnet un peu emphatique et dont les vers ne sont pas mal frappés ; — il l’envoya, somme toute, à l’Académie des Jeux floraux. Et, entre temps, il se sauva, ému d’amour, et se perdit dans la bohème, fut comédien dans une troupe qui ambulait de ville en ville. Pour le tirer de là et pour faire de lui un personnage, il fallut la Révolution, qui repêcha pas mal de ces vagabonds, les illustra et puis, cédant à sa manie, les tua. Je crois qu’il jeta le froc aux orties dans les premiers mois de l’année 1771 : l’année suivante, son père lui écrivait comme à un enfant perdu qui a fait mille sottises déjà, mille sottises qui demandent un peu de temps. Et l’Académie des Jeux floraux gratifia du lys le « Sonnet à l’honneur de la Vierge. » Mais Fabre était loin, sans doute : car il négligea de se révéler ; et le sonnet languit, sans nom d’auteur, dans les recueils imprimés de l’Académie. Il sut pourtant qu’on l’avait couronné par défaut. L’Académie florale décernait des églantines et des lys, des églantines à l’éloquence, des lys à la poésie. Il oublia de s’informer ; et, fier avec nonchalance, il prit le nom sous lequel il demeure étourdiment célèbre. le nom de Fabre d’Églantine. C’est à lui qu’on doit la poétique niaiserie du calendrier républicain et la charmante chanson de la bergère à qui l’on dit et l’on répète qu’il pleut, bergère.

Joubert ne parle pas de lui : mépris, oubli ?... Mais il le connut certainement ; du moins, il le rencontra et le vit, dans la cour de l’Esquille, petit professeur ensoutané qui menait sa classe à la chapelle et qui ne savait pas encore qu’il tournerait mal ; qui écrivait, en épigraphe au sonnet de la Vierge tueuse du