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serpent : Ipsa conter et caput tuum, et ne prévoyait pas que, sa tête à lui, la guillotine la couperait.

Un autre confrère du novice Joubert : Noël-Gabriel-Luce de Villar, un homme assez distingué, une sorte de brave homme, qui avait le goût de l’éloquence un peu ornée. Ce P. Villar, Joubert le retrouva, au temps de l’université impériale. Il l’eut pour collègue d’inspection, en 1808 et en 1809, et ne fut pas toujours de son avis[1]. Dans l’intervalle, le P. Villar avait esquissé une belle carrière, non exempte de tout reproche. Il était devenu, sous les Doctrinaires, recteur de leur collège de La Flèche ; en 1791, évêque constitutionnel de la Mayenne ; en 1792, député de la Mayenne à la Convention. Et il n’avait pas voté la mort du Roi, mais sa détention, et son bannissement, et le sursis (tout compte fait) à son exécution. Les honneurs l’avaient récompensé : membre de l’Institut, membre du corps législatif, il était de nouveau l’abbé Villar ; on lui savait gré d’une bonne réorganisation de la Bibliothèque Nationale.

Il y avait encore, à l’Esquille, une vingtaine d’années avant la Révolution, un jeune homme qui donnait de grandes espérances, Pierre de Laromiguière. Il avait pris la soutane treize mois après Joubert. Et il aimait la musique ; il aimait aussi l’émoi d’un cœur tendre. A la maison des novices, il jouait de la flûte, le soir, pour enchanter une novice, dans le couvent de Saint-Pantaléon, tout proche[2]. C’était un jeune philosophe, très attaché à la doctrine de saint Thomas, si bien muni de dialectique qu’on l’appelait avec admiration « le petit Aristote. » Mais il lut Condillac et, féru de clarté simple, adopta le système ingénieux des sensualistes. Comme il avait la vogue, il s’enhardit., A l’Esquille, il ne craignit pas d’enseigner la philosophie, non plus en latin, suivant l’école, en français. Voire, dans une séance de fin d’année, il fit scandale et inquiéta le parlement de Toulouse, ayant proposé cette thèse que l’impôt, fixé sans l’aveu public, est une atteinte au droit de propriété. En 1791, — et, il faut le dire, avec la plupart des Doctrinaires, — il accepta volontiers de prêter le serment à la Constitution. C’était un homme extrêmement fin, qui écrivait à merveille, qui avait une ironique douceur de l’esprit et qui plus tard sut, à force de prudence

  1. Correspondance inédite de Joubert et d’Ambroise Rendu. (Archives de Mme Eugène Rendu.)
  2. Tradition recueillie par M. l’abbé Vielle.