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jeunes filles n’en firent dans ma patrie et les hommes n’en firent jamais de semblables), jamais, dis-je, aucunes d’elles ne donèrent de noms aux deux amans... » C’est une légende de son pays que Joubert a prise pour sujet de ce conte inachevé. La légende, je l’ai cherchée en vain dans les livres et, à Montignac, dans le bavardage des bonnes gens qui volontiers commencent : — Nos anciens disaient...

La légende est-elle perdue ? D’autres ont duré ; des légendes d’amour et de châteaux : celle d’Alice de Sauvebœuf, amoureuse d’un troubadour et qui, plutôt que d’épouser le châtelain de Losse, se jette dans la Vézère, au jour fixé pour son mariage ; celle de Bertrand de Born, qui aimait la belle Maënz, châtelaine de Montignac ; et beaucoup d’autres. Je n’ai pas trouvé celle du moinillon qui s’est épris d’une petite paysanne. D’ailleurs, à peine Joubert l’a-t-il indiquée, dans ce court préambule. Je ne crois pas qu’il l’ait inventée.

Cette esquisse abandonnée d’un petit conte prouve le souci de littérature qu’avait alors Joubert. Son pays natal lui était devenu, par l’effet de l’absence, très pittoresque ; l’horizon familier divertit les yeux qui, s’étant éloignés, le regardent à leur retour, après qu’ils se sont dépaysés : et Joubert essaya d’une littérature (si l’on peut ainsi parler) natale. Mais il ne renonçait pas à la philosophie. Au revers du feuillet sur lequel est écrite la première moitié de cette esquisse, il y a les notes qu’il prenait en lisant le Traité de la nature humaine, de Thomas Hobbes.

Assurément, Joubert travaille. Mais que fait-il ? Sans doute avait-il déjà le goût d’acquérir avec ardeur des connaissances nouvelles et, acquises, de les élaborer avec soin : ayant ramassé ce que les livres lui offraient, il se retirait tout seul avec son butin ; il examinait ses belles emplettes, les rangeait et connaissait enfin sa richesse de faits et d’idées.

Mais l’avenir ?... Il n’y songeait pas : telle était son imprévoyance de jeune idéologue. Il ne songeait pas à un métier : il n’avait cure, véritablement, que de son esprit à cultiver. Voilà de quoi mettre en colère le chirurgien qui a peiné pour ses enfans, et pour l’aîné plus que pour les autres ; et voilà de quoi mettre en tourment la pauvre Mme Joubert. Elle, nous le savons ; le chirurgien, je le suppose : Joubert ne parle pas de son père, dans les papiers qu’on a gardés de lui. Mais, dans ce brouillon de 1799 que j’ai cité, il dit de sa mère :. « Ma jeunesse fut plus