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et Eve. Au-dessus de nos ancêtres deux petites grisailles : le Sacrifice d’Abel et de Caïn et le Meurtre d’Abel. Dans la zone inférieure se voient cinq panneaux : au centre, la composition décrivant l’Adoration proprement dite et que nous appellerons l’Agneau mystique, sur les côtés à droite les Chevaliers du Christ et les Juges Intègres, à gauche les Ermites et les Pèlerins[1]. A cet ensemble les peintres du Retable surent donner une forme si plastique, ils personnifièrent si nettement les idées chrétiennes autour de l’Agneau rédempteur que, le 23 avril 1458, sur la place du Marais, la gilde des peintres gantois reproduisit en tableau vivant l’intérieur du polyptyque à l’occasion d’une visite de Philippin aux longues jambes, lequel, ce jour-là, fit son entrée par la Porte de Bruges.

Toute trace d’inspiration médiévale n’a point disparu du Retable. Le pian général, l’opposition des zones céleste et terrestre, la ferveur solennelle des grandes figures, l’esprit monumental de l’œuvre et ses divisions architectoniques, autant de survivances du grand art gothique français. Mais cette fidélité a dépouillé entièrement les formes scolastiques et n’arrête plus l’ardeur des peintres à explorer le monde nouveau où ils s’engagent. Leur art lutte avec la réalité. A l’extérieur, les deux saints Jean imitent des statues à faire illusion. L’âme des choses emplit la chambre de (‘Annonciation où les moindres détails révèlent l’intelligence suprême de la nature morte, tandis que les portraits de Josse Vyt et d’Isabelle Borluut proclament de leur côté l’observation et les réalisations infaillibles des créateurs du nouveau style. Et ces beautés sont grandes en dehors de toute notion évolutive, et non seulement par comparaison avec l’art

  1. Les figures de Dieu le Père, de la Vierge, de saint Jean-Baptiste, la composition de l’Agneau mystique constituent la partie fixe du Retable, laquelle est conservée intégralement à la cathédrale Saint-Bavon de Gand (primitivement église Saint-Jean). Les autres parties sont mobiles et composent les volets qui se replient pour montrer l’extérieur. Tous les volets originaux sont au Kaiser Friedrich Muséum de Berlin, sauf les figures d’Adam et d’Eve (musée de Bruxelles). C’est à Berlin par conséquent que l’on voit aussi tout l’extérieur du Retable, sauf les deux étroits panneaux qui complètent le décor de l’Annonciation (revers d’Adam et Eve. Musée de Bruxelles). La copie commandée à Michel Coxcie par Philippe II et achevée en 1559 se trouve répartie entre Gand (Anges musiciens, Anges chanteurs, Soldats du Christ, Juges intègres. Pèlerins, Ermites), Berlin (Dieu le Père, Agneau mystique) et Munich (Vierge, saint Jean-Baptiste, etc.) Les volets de l’ensemble actuellement visible à Gand sont donc de Coxcie, sauf Adam et Eve (peints par V. Lagye, 1861). Dans sa copie Michel Coxcie a remplacé les donateurs par des évangélistes.