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partis ne songe plus à la justice ; on loue ceux qui réussissent par leur éloquence. Les citoyens honorables périssent, victimes des deux factions, soit parce qu’ils refusent d’en partager les violences, soit par la jalousie qu’on leur porte d’y avoir échappé... Dominés par la pensée qu’on ne peut espérer rien de stable, ils n’osent se fier à personne et ne songent qu’à se mettre à l’abri du mal. Alors, ce sont les moins capables qui l’emportent. En effet, ceux-ci, craignant que leur propre infériorité et le mérite de leurs ennemis ne les écartent des affaires, marchent audacieusement au but, tandis que les hommes de mérite, dédaigneux du danger, ou négligens du soupçon, se laissent surprendre ou écarter et, dans les troubles civils, périssent en grand nombre. »

Thucydide prit pour sujet cette guerre du Péloponèse dont il avait été une des premières victimes. Un tel choix ne lui était dicté ni par la vengeance, ni par la rancune. Il se rend compte qu’il assiste à un des événemens les plus considérables de l’histoire humaine (puisque là se joue le rôle d’Athènes et de la Grèce tout entière) et il ne veut pas que l’avenir en ignore les origines et les causes. « Quoique les hommes, durant la guerre, regardent toujours celle qu’ils font comme la plus importante, néanmoins la guerre présente, à en juger par ce qui s’accomplit, l’emportera assurément sur toutes les autres... J’ai voulu exposer les causes de cette rupture et les motifs de nos dissensions, afin qu’on ne se demande pas, un jour, d’où s’éleva, parmi les Grecs, une guerre d’une telle importance. »

Ce coup d’œil, cette pénétration, cette divination ne le quittent jamais : soit qu’il analyse les motifs immédiats qui amenèrent la guerre entre Sparte et Athènes, soit qu’il montre la république grecque hésitant entre les deux partis, soit qu’il expose les dispositions prises, de part et d’autre, et les alliances secrètes, soit qu’il jette un coup d’œil lointain sur l’aspect et l’attitude du monde barbare, se préparant à profiter de l’affaiblissement de la fortune hellénique, soit qu’il assiste au duel des orateurs lacédémoniens et athéniens, chargés de soutenir l’une ou l’autre cause et d’attirer, en invoquant la justice et la raison, la faveur des Dieux... La guerre éclate. Périclès est, à ce moment, le premier à Athènes. C’est lui qui prononcera la fameuse oraison funèbre des citoyens morts pour la patrie où toute la grandeur Athénienne est présentée en un magnifique raccourci : « Je