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la boue, diraient les plus francs, ce n’est pas votre affaire. Laissons-les, ma bien chère, et continuons notre roman éternel qui est la plus belle réalité du monde. C’est donc pour vous dire que je vous aime, et je vous l’écris sans la moindre nécessité, mais je ne peux pas me dispenser de vous l’écrire. Vos nouvelles sont charmantes. Envoyez-m’en d’autres : envoyez-m’en toujours. Ce sont des nouvelles de Jésus, elles accroissent l’amour. Avouez que nous serions bien bêtes si Jésus nous manquait, bêtes absolument, bêtes comme tout le monde. Donc voilà ce pauvre Carpeaux en bonne voie[1]. J’espère qu’il mourra. Dans les dispositions où il est, son affaire est bien plus sûre. S’il meurt, sa statue de saint Joseph sera bien plus belle, étant faite avec son intention. S’il revit, il restera sculpteur, et risque de ne faire rien qui vaille... Et que peut faire de mieux Carpeaux que de devenir amoureux de Jésus-Christ. J’aime bien aussi la lettre de la Plessy. Celle-ci du moins s’est mise à la vraie tâche. Il faut admirer Dieu, le bénir et le prier.

Je continue d’aller bien, quoique toujours fléchissant et embarrassé. Je suis devenu d’un vieux effroyable et chaque instant il me meurt quelque ami précieux, mais je les vois tous aller au Ciel et je suis tranquille. Je ne crois plus à la mort, Jésus n’a fait que la vie et ceux qui l’aiment ne sont faits que pour jouir de la vie.

Bien à vous.


A Monsieur Alexis Fay, à Nice.


Paris, 5 mai 1875.

Très cher Alexis, quand j’ai reçu votre lettre, si bonne, si affectueuse, en un mot, si Léontine, j’ai juré de vous répondre tout de suite, ou le jour même, ou le lendemain, ou tout au moins dans la semaine, ou enfin dans le mois ! à moins que je ne fusse mort. Voilà que le mois va passer, je ne suis pas assez en train de mourir, et je ne veux pas que mes infirmités et mes besognes me fassent encore manquer de parole à moi-même. Cependant, il est vrai que je n’ai pas eu le temps, et que je n’en ai pas. Faites-moi crédit. Je suis toujours malade et cette

  1. Le fameux statuaire, très malade, était en voie de faire une fin chrétienne. Il mourut, en effet, quelques mois après, confessé et communié.