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La tranquille façade de cette demeure, percée de hautes fenêtres légèrement cintrées, rappelle, dans sa simplicité aristocratique, le temps de Gabriel et de Louis[1].» C’est là, dans cette maison jadis habitée par Vivant Denon, l’artiste « philosophe » et le diplomate collectionneur, que l’auteur de Thaïs a passé les heures les plus décisives de son enfance et de son adolescence ; la librairie paternelle a été sa première « cité des livres. » Il est né non loin de là, quai Malaquais, en 1844. Ce Parisien, « qui aime Paris comme un Italien du Moyen âge où du bienheureux XVe siècle aimait sa ville[2], » a surtout aimé, dans Paris, le « paysage lapidaire » sur lequel se sont tout d’abord ouverts ses yeux de « petit garçon rêveur. » En quels termes émus il a chanté ces « vieux quais augustes, » « patrie adoptive de tous les hommes de pensée et de goût, » et ce « fleuve de gloire, » et ces « boites de livres étalées » qui « lui font une digne couronne ! » Là, « du Palais-Bourbon à Notre-Dame, on entend les pierres conter une des plus belles aventures humaines, l’histoire de la France ancienne et de la France moderne. On y voit le Louvre ciselé comme un joyau, le Pont-Neuf... la place Dauphine avec ses maisons de brique telles qu’elles étaient quand Manon Phlipon y avait sa chambrette de jeune fille. On y voit le vieux Palais de Justice, la flèche rétablie de la Sainte-Chapelle, l’Hôtel de Ville et les tours de Notre-Dame... » Que ne voit-on pas sous ce « ciel de Paris, plus animé, plus bienveillant et plus spirituel » que le ciel de Naples, et

  1. Anatole France, Notice historique sur Vivant Denon, Paris, Rouquette, 1900, in-8, p. 1. — Aujourd’hui, la maison en question n’abrite plus la docte librairie Champion. D’après le Livre de mon amr' (p. 8), M. France serait né dans « un vieil hôtel fort déchu qui a été démoli depuis pour faire place aux bâtiments neufs de l’École des Beaux-Arts. » Cet hôtel portait le n° 19 du quai Malaquais, d’après M. Roger Le Brun, Anatole France (les Célébrités d’aujourd’hui, Paris, Sansot, 1904, p. 9) ; cette instructive brochure contient une excellente bibliographie de l’œuvre de l’écrivain. — Parmi les études d’ensemble qui ont été consacrées à M. France, je signalerai particulièrement celle de M. Doumic dans la Revue du 16 décembre 1896 ; celle de M. Jules Lemaître au t. Il des Contemporains ; celle d’Edouard Rod, dans ses Nouvelles études sur le XIXe siècle ; celle de M. G. Lanson, en tête des Pages choisies d’Anatole France ; et surtout l’étude psychologique si fouillée, si complète et si pénétrante que vient de publier M. G. Michaut (Anatole France, Paris, Fontemoing, 1913). Des recherches parallèlement poursuivies m’ont souvent amené aux conclusions mêmes de M. Michaut, et son livre, que j’utiliserai fréquemment, et auquel je renvoie une fois pour toutes, m’aurait certainement découragé d’entreprendre l’étude qu’on va lire, si nos deux desseins n’avaient pas été un peu différens.
  2. W. G. G. Bywanck, Un Hollandais à Paris en 1891, préface d’Anatole France. Paris, Perrin, 1892, in-16 (p. IX).