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Après avoir cherché, sans succès, dans l’eau froide un remède à sa nervosité, il s’habilla prestement. Quand il eut fulminé contre la maladresse chronique de la servante juive qui lui apportait le café matinal, il tourna d’un pas saccadé autour de la table et se mit à réfléchir. Chez lui, comme chez tous les hommes façonnés par la solitude, souvent la pensée s’évadait en monologues sans apprêt. Cette fois, sa méditation fut silencieuse. Elle s’exerça sur des cartes rapidement consultées, sur l’attirail de voyageur qui gisait dans un coin, sur le contenu de cantines vidées en toute hâte sur le lit. Et, avec la joie exubérante de l’homme d’action qui vient de prendre un parti : « Mohammed ! — cria-t-il en tirant à le briser sur le cordon de la sonnette ; — Mohammed ! hâte-toi ! Je sors, mais tu viendras me rejoindre à la gare avec les bagages, pour le train de midi, — Où allons-nous ? — Chez les farouches Zaër, ô Mohammed ! »

Trois mois auparavant, Paul Pointis avait partagé l’engouement de ses compatriotes pour le Maroc, provoqué par les suggestions d’une presse bien stylée. Repris par la nostalgie des voyages, il avait laissé sa jeune femme à Paris, et il avait débarqué comme tant d’autres à Casablanca, plus riche encore d’illusions que de sa respectable lettre de crédit sur la Banque d’Etat. Mais il était arrivé trop tard, ou trop tôt. Il n’avait aucun goût pour les spéculations de terrains où se complaisait l’ingéniosité des premiers immigrans, pour le commerce des laines de moutons ou de peaux de bœufs, pour les copieux profits des fournisseurs militaires ou des fondateurs de bazars. Il ne s’était pas soucié d’entrer en relations d’affaires avec les Juifs, les protégés étrangers, les Levantins, qui mettaient entre les indigènes avides et les capitalistes confians une épaisse barrière d’intermédiaires retors. Ses aptitudes, qui le portaient vers les entreprises industrielles, l’avaient aussitôt éloigné de la Chaouïa plantureuse où s’entassaient les nouveaux débarqués. A la suite des convois militaires, il avait visité Fez, Meknès, avec l’espoir de prendre date pour des concessions de houille blanche, de transports mécaniques, d’éclairage, que la transformation escomptée de ces vieilles cités lui faisait supposer désirables et prochaines. Mais la révolte de Fez avait assombri la situation politique ; l’entourage du Sultan et nos diplomates ne s’étaient pas montrés favorables aux projets industriels que Pointis leur présentait. Il avait eu, alors, des ambitions plus