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fleuve après avoir terminé ses préparatifs, ses idées prirent un autre cours. La lumière légère, l’animation des rives, le calme de la mer qui plaquait un bleu cru sous le vert pâle de l’horizon, invitaient à la paix du cœur et donnaient la joie de vivre. Accoudé sur le parapet de la Douane, il ne songeait plus qu’à contempler un paysage connu, mais toujours séduisant, à discerner les changemens que les mois écoulés lui avaient fait subir. A cette heure indécise qui précède le crépuscule, le filet blanc des murailles de Salé, soulignant les touches sombres des figuiers massifs, semblait tout proche. Sur la plage, où naguère grouillaient les chameaux têtus et rageurs, les troupes entassées, une ville de bois remplaçait les camps poussiéreux et nauséabonds que les soldats avaient maudits. Vers l’amont, les marécages aux reflets de satin, où papillotaient les miroirs des flaques d’eau, les taches claires des aigrettes et des pluviers, couvraient d’un linceul d’herbes drues le port qui abrita les galères des Romains et les caravelles des Portugais. Sur la rive gauche, les symboliques toitures de tôle émergeaient des vergers, formaient une garde d’honneur à la nouvelle Résidence Générale blottie dans les arbres. Ecrasées par la masse fruste de la Tour Hassan, elles montraient le présent plein de promesses à ce témoin d’un passé barbare et glorieux.

La nuit venait. Pointis rêvait toujours. Comme en hiver avant de se lever, il différait de quitter cet endroit où il se trouvait bien. Il redoutait sa gargote surchauffée, aux odeurs de pétrole et d’eaux grasses, que le contraste du moment lui faisait paraître plus sinistre. Et, brusquement, un nom saisi au vol dans la conversation bruyante d’officiers qui allaient dîner au camp de la plage le décida. Le « Café de Toulouse, » d’après une légende bien établie, mais récente, offrait à ses cliens une cuisine honnête, des repas en plein air, et des serviteurs diligens. De tels mérites convenaient aux goûts raffinés de Pointis. Il traversa la ville, constata sans s’étonner que les tables d’apéritifs obstruaient les rues, et, guidé par un muchacho futé dans un dédale de chemins sablonneux bordés de cactus, il se trouva bientôt sur la d’une frangée d’argent. Dans le hall à claire-voie du Casino silencieux qui la dominait, des sous-officiers et des soldats courtisaient des chanteuses maussades. Au delà de la nappe de lumière que l’acétylène étendait autour du beuglant, une ligne de points rouges semblait suspendue dans la nuit. Des