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REVUE LITTÉRAIRE

VILLON[1]

« Il fauldroit avoir esté de son temps à Paris, et avoir congneu les lieux, les choses et les hommes dont il parle, » dit Clément Marot de Cahors, dans la préface de l’édition qu’il a donnée de Villon. Il regrette que les deux Testamens soient tout pleins de noms bientôt inconnus et d’allusions à de petits faits qui n’ont laissé nul souvenir. Il conseille donc aux poètes de ne pas prendre leurs sujets « sur telles choses basses et particulières. » On ne lit pas les Testamens, je crois, sans être un peu du même avis que Marot. Mais le conseil de Marot est dangereux, qui engagerait les poètes à éviter la particularité. En cherchant la généralité, les poètes ne traitent plus que lieux communs. Il est remarquable que plusieurs des grandes œuvres auxquelles la postérité demeure le plus fidèle, — et, par exemple, la Divine Comédie, — soient, dans tout leur détail, attachées à de menus événemens, oubliés quelques-uns. Or, le poète ainsi témoigne de sa vie réelle ; et il n’est de réalité que particulière : mais il n’est rien aussi de plus général que la vie.

Cependant « l’industrie des legs » que fait Villon (comme dit Marot) nous échappe très souvent ; et, pour en attraper la signification, l’ironie ou la gentillesse, il faudrait avoir été de son temps à Paris. Marot renonçait à un tel privilège, Marot qui, un demi-siècle après la mort de Villon, sentait déjà « l’antiquité de son parler » et la notait dans un langage dont nous sentons à notre tour l’antiquité : que de vieillesse accumulée sur la jeunesse d’ « ung povre petit escollier ! »

  1. Pierre Champion, François Villon, sa vie et son temps, deux volumes (Champion, éditeur).