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drame, c’est la lutte pour ou contre la liberté : voilà ce que Tite-Live nous rend sensible à nous-mêmes qui ne sommes pas l’enjeu du débat. Rome avait une horreur traditionnelle de la royauté, et, chose singulière, c’est ce sentiment qui la poussa vers l’Empire, c’est-à-dire vers un régime où la puissance absolue était confiée à une dictature par haine de l’hérédité. César, Auguste ne furent, d’abord, que les premiers des citoyens : ils occupèrent les magistratures de la République pour l’asservir et la détruisirent en la maintenant. Les origines de cet étonnant revers des choses, c’est toute l’œuvre de Tite-Live. Aussi, quoiqu’il fût le familier d’Auguste, étant de tendance aristocratique (comme la plupart des hommes qui écrivent l’histoire), il disait de César : « Qu’on ne sait lequel eût mieux valu qu’il eût ou n’eût pas existé. »

Tite-Live raconte ; il raconte bien ; il raconte impartialement, mais aussi, il veut convaincre, il veut persuader, il veut que l’histoire ait une sanction : c’est pourquoi le conteur aboutit à l’orateur, in historia orator, disait de lui l’antiquité. Quintilien fait un parallèle entre Salluste et Tite-Live. « L’histoire, dit-il, n’a pas péri avec la Grèce : je ne craindrai pas de comparer Salluste à Thucydide et Tite-Live à Hérodote, Celui-ci montre, dans ses récits, une grâce délicieuse et une transparente candeur, mais c’est surtout dans ses harangues que son éloquence dépasse tout ce que l’on peut dire, tant elles sont convenables aux circonstances et aux hommes. Les passions humaines, et surtout celles qui sont les plus douces, respirent dans son œuvre. S’il n’a pas l’admirable brièveté de Salluste, il se rachète par d’autres mérites : aussi Servilius Novianus dit-il, avec raison, que, si ces deux historiens ne sont pas semblables, ils sont égaux. »

Les anciens goûtaient, plus que nous encore, cette faculté de l’éloquence parce que l’éloquence était, chez eux, plus encore que chez nous, l’instrument de la vie publique. Savoir parler, c’était être capable d’agir : on arrivait par l’éloquence non seulement aux fonctions de la vie civile et aux magistratures, mais au gouvernement des provinces, aux hauts commandemens militaires. Aussi l’histoire qui enseignait la vie publique devait nécessairement enseigner l’éloquence. Tous les historiens anciens ont fait « parler » leurs personnages.

Les raisons, les argumens, les développemens que comportaient les affaires, il leur plaisait, il leur paraissait convenable