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de les mettre dans la bouche de ceux qui y avaient participé, qui avaient conseillé et pris les résolutions. Comme toute action était précédée d’une délibération, et que cette délibération avait été, pour ainsi dire, le nœud de l’affaire elle-même, on reproduisait un schéma de l’argumentation qui avait déterminé les actes.

Aujourd’hui, l’habitude de traiter les affaires par écrit s’est répandue : l’exposé se fait par des « rapports, » plus souvent peut-être encore que par des discours ; en outre, la sténographie a permis de recueillir textuellement les paroles prononcées dans les circonstances qui méritent l’attention de l’histoire. Une exigence documentaire plus rigoureuse a donc écarté le discours rédigé par l’historien : mais il n’était, en somme, qu’un résumé vivant des raisons qui avaient décidé d’une détermination publique. Est-il bien sûr que l’histoire n’ait pas perdu en délaissant ce mode bref et animé de poser les questions et d’en expliquer la solution ? En se refusant cette ressource, elle s’est appauvrie et refroidie. Le discours établissait, en quelque sorte, une conversation entre le personnage, l’écrivain et le lecteur ; il mettait la postérité de plain-pied sur la scène. Taine dit de ces harangues : « C’est, pour la raison, un plaisir pur et extrême que d’embrasser cette multitude d’idées, de passer aisément de l’une à l’autre, de sentir leur enchaînement, d’éprouver qu’elles sont toutes solides par elles-mêmes et affermies les unes par les autres, d’appuyer sur elles sans qu’elles enfoncent ni fléchissent, de comprendre que, toutes ensemble, elles forment un édifice destiné à porter une seule proposition. »

Ce sentiment de la force et de la vie que donne le discours, on ne le trouvera nulle part plus puissant que dans l’œuvre de Tite-Live. Orateur né, il s’abandonnait avec joie, avec effusion, à ces expansions où sa pensée prenait corps en quelque sorte, dans le passé qu’il exposait. Si le « discours latin » a été un des procédés d’éducation les plus efficaces qu’ait connus la civilisation moderne, c’est à l’éclat des discours de Tite-Live que ce résultat est dû. Par Tite-Live, nous entendons le langage et l’accent de l’antiquité. Les infinies nuances de la pensée et de l’action, si subtiles qu’elles seraient presque insaisissables, se réfléchissent dans ces écrits où elles ont été sauvées. Quel exposé, quel récit présenteraient un tel miroir de l’âme ? Tite-Live a été l’ « historien orateur, » oui ; et il faut l’accepter comme tel ; romain encore par là. Villemain dit avec force : « C’est l’éloquence même,