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n’eût fait que l’entrevoir deux ans avant, en traversant Paris incognito pour se rendre en Espagne ; elle s’attachait à vaincre ses scrupules et « à lui faire prendre goût à la gloire d’être aimée, » rôle abominable qu’on ne saurait trop flétrir et par lequel elle préludait à tant d’autres méchantes actions qu’on la voit commettre aux diverses étapes de sa scandaleuse existence.

M. Louis Batiffol nous donne sur cette aventure une version que les preuves en lesquelles il l’encadre autorisent à considérer comme définitive ; il nous montre la Reine recevant Buckingham, se laissant émouvoir un moment par les propos passionnés qu’elle entend, mais se reprenant à temps pour mesurer la profondeur de l’abime où elle tomberait si elle cédait à la passion vraie ou feinte qu’elle a inspirée. Au bout de quelques jours, heureuse de n’avoir pas succombé, elle se ressaisit, redevient maîtresse d’elle-même et lorsque, bientôt après, Buckingham obligé de retourner en Angleterre se présente pour prendre congé d’elle, il n’obtient qu’un adieu glacial accompagné d’un regard d’indifférence et de mépris. Il partait cruellement déçu et offensé. Condamné par la volonté de Louis XIII à ne plus revenir en France, il allait se transformer en agent de la coalition à laquelle songeait déjà la duchesse de Chevreuse pour faire échec à Richelieu et renverser Louis XIII, au profit de son frère Gaston d’Orléans.

Ainsi, à l’origine de l’un des plus douloureux épisodes de l’histoire de France, on trouve la main de Mme de Chevreuse, main tragique vraiment, si l’on considère qu’elle a tenu les fils de la conspiration de Chalais, conduit ce malheureux jeune homme à l’échafaud, fait emprisonner d’Ornano, Châteauneuf et d’autres, et que, par la suite, elle a également porté malheur à tous ceux, amans et amis, qu’elle a entraînés dans ses complots et ses intrigues avec l’étranger. De quelque côté qu’on regarde à la vie de cette femme, dont il faut lire le récit dans le beau livre de M. Louis Batiflol, on n’y trouve rien qui plaide pour elle, car, n’en déplaise à Victor Cousin, elle a fait un trop détestable usage de sa beauté, de son esprit, de sa remarquable intelligence, de son charme, et en un mot de tout ce qui la rendit irrésistiblement séduisante pour qu’ils puissent être rappelés à l’effet d’excuser son inconduite. Ils font comprendre pourquoi et comment se sauvant toujours des périls qu’elle créait elle-même et auxquels échappèrent rarement ses complices,